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route au collectivisme, l’association pourrait bien lui barrer le chemin. Ce que ne peut faire l’individu isolé, pourquoi les individus associés ne pourraient-ils l’effectuer ? A quoi bon, alors, le collectivisme ? Si le problème est de concilier les droits de l’individu avec les besoins de la société, pourquoi ne pas chercher à les concilier par le groupement volontaire et libre ? Pourquoi ne serait-ce pas là le terme naturel de l’évolution sociale contemporaine ?

LE COLLECTIVISTE. — La rénovation de la société par l’association libre ! mais c’est l’utopie des bourgeois qui se croient ou se disent progressistes. L’association privée sera toujours impuissante ou tyrannique, impuissante si elle est faible, tyrannique si elle est forte. Pour le prolétariat, ce ne peut être qu’une arme de combat, comme les Trade-Unions anglaises ou nos syndicats ouvriers. L’association privée, les coopératives même marquent, seulement, une phase transitoire de l’évolution sociale ; ce n’est qu’une étape entre l’émiettement individualiste d’hier et le collectivisme de demain. Associations d’hommes ou de capitaux, les sociétés ont leurs intérêts, leur politique, leurs ambitions qui s’accordent mal avec les intérêts ou les besoins de la communauté. Elles ne peuvent donner au monde ni l’ordre ni la paix. Elles sont en lutte entre elles ; elles se combattent et se dévorent les unes les autres. Leur égoïsme égale et parfois dépasse celui des individus. Que serait le triomphe des associations privées ? Ce serait, tout bonnement, une anarchie, peut-être pire encore que l’anarchie individualiste, anarchie et guerre perpétuelle, guerre par grandes masses et grandes armées. N’est-ce pas le spectacle que nous offrent, déjà, nos syndicats ouvriers et les grandes compagnies industrielles ? Financières ou religieuses, capitalistes ou prolétaires, les grandes associations qui se disputent l’empire font régner la guerre et non la paix.

L’ANARCHISTE. — C’est peut-être que la guerre est l’état naturel de l’homme ; que la paix absolue, la paix des intérêts et des idées, est une utopie qui ne peut être réalisée que dans la servitude. La lutte est le produit de la vie et la condition du progrès.

LE COLLECTIVISTE. — La paix, avec l’ordre, ne peut se trouver que dans l’unité. Les associations privées ne peuvent assurer ni l’un ni l’autre ; il y faut un groupement universel, embrassant tous les groupes particuliers. Et c’est bien dans ce sens que tend à évoluer la société contemporaine. Les grandes associations, les