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reconnaissent faits pour obéir. La pensée libre, l’action indépendante ne doivent plus être le monopole de quelques privilégiés. Tout homme se sent un homme, et aspire à être pleinement un homme. Par suite, plus de place pour les conquérans ou les grands dominateurs, qui régnaient par l’épée ou par la parole, faisant de leurs semblables le piédestal de leur fortune. L’homme émancipé n’admet pas de supérieur. Plus de dieux, dans le ciel, au-dessus de nos têtes ; plus de demi-dieux, parmi nous, sur la terre libre. Oui, l’âge des héros est passé, mais pourquoi ? est-ce que les énergies créatrices se seraient énervées dans l’homme moderne ? est-ce que notre sang épuisé n’aurait plus rien des mâles fermens et de la sève divine des anciens jours ? Non, certes ; c’est, tout au contraire, que ce qui était le lot des privilégiés de la nature ou de la naissance, ce qui faisait les héros et les demi-dieux doit devenir la part de tous : il faut que l’énergie virile et la fierté humaine se généralisent, se vulgarisent ; que les fruits de la liberté, de la science et du génie, aussi bien que de la richesse, s’abaissent à la portée de toutes les mains. Il faut que tous les hommes puissent grandir, librement, au soleil de la vie ; que chacun puisse déployer toute sa taille ; que les possibilités de développement intellectuel et matériel soient, également, assurées à tout être humain. Vous réclamez l’instruction intégrale ; je demande plus ; je revendique, pour tous, la vie intégrale, la vie complète. Je veux que les hommes s’estiment comme des demi-dieux ; ce n’est pas assez, je veux qu’ils se regardent eux-mêmes comme des dieux terrestres. Je ne dirai pas avec vous : l’humanité, voilà, désormais, le seul Dieu. Je n’admets pas plus de divinité collective que de royauté collective ; cela est vide. Je veux que l’homme soit dieu, comme il doit être roi. Je veux, pour lui, une divinité, comme une souveraineté, personnelle. L’humanité, c’est un fantôme sans substance, une abstraction, et je n’adore pas les abstractions. L’humanité, ce n’est, comme les divinités anciennes, qu’une personnification sans vie et sans réalité ; c’est encore une idole, et une assez vilaine idole, trop souvent pareille aux dieux obscènes et cruels des sauvages. Je me défie de cette déesse imaginaire, à laquelle plus d’un fanatique immolerait volontiers l’homme réel, l’être de chair et de sang. Comme la science, autre grand fétiche moderne, elle pourrait, un beau jour, avoir ses autodafés. Votre religion de l’humanité, elle a, déjà, ses superstitions, comme elle a ses dévots et ses hypocrites, qui m’en