inconciliable avec le collectivisme. Vous ne sauriez même assurer, à chacun, le droit d’aller et de venir librement. Vous parlez de souveraineté ; mais qu’est-ce qu’un souverain qui aura abdiqué au profit de la collectivité ? vous parlez de liberté ; mais, publiques ou privées, quelles libertés peut garantir un État qui tiendra tous les citoyens dans une étroite dépendance ? Vous dites aux bourgeois que leurs libertés, politiques ou civiles, sont menteuses, que, sans indépendance économique, il ne saurait y avoir de vraie liberté. Ce raisonnement se retourne contre vous. L’État collectiviste tenant tous les particuliers dans la sujétion économique, quelle liberté leur restera-t-il en face de l’État ? Heureux seront-ils, si l’administration leur laisse le droit de se plaindre, car, dans votre terre promise du collectivisme, la liberté de penser, au moins celle de parler ou d’écrire serait à la merci du bon plaisir gouvernemental. Vous êtes typographe, vous savez comment se répandent les idées et les opinions, par le journal, par le livre, par l’image. Or, qu’en sera-t-il, de tout cela, sous le régime collectiviste, quand l’État, seul maître des instrumens de production, aura, dans sa main, toutes les imprimeries et les librairies ; quand, du prote aux brocheuses et au colleur d’affiches, tous les ouvriers seront choisis et rémunérés par le pouvoir ? Que deviendront, avec ce monopole d’État, la liberté de la presse et la liberté des élections ! Voyez-vous le parti au pouvoir, car, tant qu’il y aura des hommes, il y aura des partis, prêtant ses presses ou ses feuilles à ses adversaires ? Le monopole de la production entraîne le monopole de la presse ; s’il vous reste des journaux, ce seront des journaux du gouvernement. Rien que des moniteurs officiels enregistrant les volontés des gouvernans, telle sera la libre presse collectiviste. C’est cela qui sera distrayant ! Et ainsi, encore une fois, de toutes les libertés, des plus hautes comme des plus terre à terre, de la liberté de penser à la liberté de circuler. Prenez-les une aune, toutes s’évanouissent. Ce n’est pas seulement la liberté du travail, que vous jetez par-dessus bord, si allègrement ; avec elle, en disparaissent d’autres dont tout le monde ne fait pas fi, la liberté de la profession, celle de la résidence, celle même de travailler, de manger, de dormir, de flâner à ses heures. Croyez-moi, collectivisme et liberté sont deux choses qui s’excluent, comme l’eau et le feu : je ne sais si l’on fera bonne chère, si l’on sera bien logé, bien vêtu, bien chauffé dans votre phalanstère collectiviste, — ce sera l’affaire de vos bureaux et de votre intendance ;
Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/744
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.