LE COLLECTIVISTE. — Pardon, nous avons une loi et une autorité qu’aucune intelligence ne peut récuser. Nous avons foi en l’autorité de la Raison qui, seule, peut réunir tous les hommes et qui, seule, doit régner sur le monde.
L’ANARCHISTE. — La Raison ! C’est une autorité que chacun fait parler à sa manière. Elle n’a pas d’organe pour rendre ses oracles. Aussi n’a-t-on, jamais, rien fondé sur la pure Raison. La Raison ! c’est la grande anarchiste. Elle s’entend mieux à démolir qu’à construire. Elle n’est jamais contente de son œuvre ; elle la défait sans cesse, pour la recommencer toujours. La Raison ! c’est en son nom qu’ont été accomplies toutes les révolutions et toutes les réactions. Les hommes de 1793 se donnaient bien pour ses prophètes ; ils l’avaient divinisée ; ils se flattaient, comme vous, d’établir son règne. Ils croyaient n’avoir qu’à proclamer son avènement, pour changer la face du monde. Leur illusion fut courte ; tous leurs appels à la Raison ne les dispensèrent pas de recourir à la contrainte, à la terreur, à la guillotine. Il en serait de même de vous. Vous parleriez, au nom de la Raison, et vous régneriez de par la Force ; et comme tous ceux qui ont prétendu refaire l’homme et l’humanité par la contrainte, vous seriez vaincus. Chimère pour chimère, mieux vaut encore se fier à la nature et à la liberté, et puisque vous croyez à la Raison, au progrès de la Raison. S’il doit jamais se former, sur notre misérable planète, une société vraiment fraternelle et vraiment solidaire, ce ne sera point par la force de l’Etat et par la contrainte de la loi ; car la solidarité et la fraternité ne se commandent ni ne s’imposent. Votre solidarité collectiviste implique contradiction. Vous vous vantez de faire, de tous les hommes, des frères et des êtres libres ; et, pour y parvenir, vous commencez par les enchaîner ensemble. Vous redressez la société en la serrant dans un corset de fer, comme un enfant mal conformé. Permettez-moi de me défier de votre orthopédie sociale. En somme, vous en êtes, toujours, aux méthodes et aux illusions des Jacobins bourgeois et des révolutionnaires de la vieille école. Comme eux, vous voulez construire une cité soi-disant rationnelle, pour un homme abstrait, fait à votre image ; et comme eux, vous comptez, pour cette belle œuvre, sur la loi et sur la force. Vous rééditez, avec d’autres formules, la grande erreur de la Révolution. La fraternité ou la mort, voilà, aussi, votre devise. Croyez-moi, pour inaugurer le règne de la fraternité et de l’égalité, il ne suffit pas des décrets