après un très long abandon. Il a été si long, en effet, que tout le monde a pu le considérer comme définitif, et que l’Angleterre elle-même a fait avec plusieurs autres pays des arrangemens diplomatiques d’où il résulte avec évidence qu’elle considérait ces vastes régions comme tombées en déshérence et devenues res nullius. Nous ne serions pas embarrassés pour citer des exemples à l’appui, et d’ailleurs quelques-uns sont dans toutes les mémoires. L’Angleterre a changé à plusieurs reprises de manières de voir au sujet des territoires soudanais ; elle a passé d’une thèse à l’autre, suivant l’intérêt du moment. Nous ne contestons pas son droit, mais ce n’est pas un droit exclusif. Le droit de l’Angleterre n’est pas d’une autre espèce que celui des autres nations. Quant à notre gouvernement, il a moins varié sur la question. Il a toujours considéré que le Soudan, abandonné de l’Egypte, continuait virtuellement d’appartenir au sultan, son suzerain, et que si, dans un règlement ultérieur, toutes les questions qui s’y rattachent venaient à être posées, il y aurait probablement lieu pour tout le monde de restituer ses prises à la puissance suzeraine, ou de les soumettre à sa considération. Jusque-là, chacun peut également les garder. L’État libre du Congo, l’Allemagne, l’Italie même, lorsqu’elle occupait Kassala qu’il lui a plu de remettre à l’Angleterre, mais qu’elle aurait pu tout aussi bien garder pour elle, ont tous été successivement de cette opinion. En somme, les Anglo-Égyptiens auraient parfaitement pu ne jamais revenir à Khartoum et à Fashoda. Il y a eu un moment où ils y avaient absolument et formellement renoncé, et il a fallu toute l’énergie du général Kitchener pour changer sur ce point le cours des idées. Aucun homme de bonne foi n’admettra que le Soudan aurait continué indéfiniment d’appartenir à l’Egypte, quand même elle ne l’aurait jamais occupé, et que personne ne pouvait s’y établir à sa place. Elle le réoccupe aujourd’hui, nous le voulons bien ; mais dans l’intervalle, d’autres droits ont pris naissance ; ils se sont justifiés par des efforts poussés jusqu’à l’héroïsme, et nul ne peut les tenir pour non avenus. Nous sommes à Fashoda au même titre et dans les mêmes conditions que les Anglais sont à Khartoum.
Ce n’est pas que nous méconnaissions les intérêts de l’Angleterre, ni que nous soyons résolus à n’en tenir aucun compte. Non, certes, car nous sommes gens raisonnables et nous n’ignorons pas le vieil axiome : summum jus, summa injuria. Si nous défendons notre droit, ce n’est pas pour en abuser. La bataille d’Omdurman a modifié profondément l’état des choses au Soudan en détruisant d’un seul coup la puissance du Mahdi, et en faisant tomber dans les mains des