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sont remplies. Mais enfin on nous disait que le commandant Marchand était à Fashoda : comment ne pas nous en réjouir, et de quel droit l’Angleterre s’en serait-elle indignée ? En somme, nous avons fait au Sud ce qu’elle a fait au Nord. A mesure que notre expansion se poursuivait en Afrique, nous avions fini par rencontrer l’empire du Mahdi et nous l’avions attaqué. Les moyens dont nous disposions étaient de beaucoup inférieurs à ceux de l’Angleterre ; aussi les résultats obtenus étaient-ils plus modestes. Mais, tels qu’ils sont, ils ont pour nous beaucoup de prix, et nul ne peut nous les disputer.

Les journaux anglais n’en ont pas moins demandé, et avec des cris presque sauvages, que le commandant Marchand fût expulsé de Fashoda par la force. Les plus modérés proposaient de l’envelopper et de l’affamer afin de l’obliger à se rendre à discrétion. Pourquoi ? Parce qu’il gênait les Anglais : il était impossible de donner une autre raison. Cela suffisait pour qu’il fût traité en simple aventurier. Mais il était tout autre chose, et le gouvernement français n’a pas manqué d’en aviser le gouvernement britannique. Les choses ne se passent pas entre gouvernemens comme dans les journaux. Un acte de guerre commis contre un officier français en mission régulière, et cela en pleine paix, sans déclaration préalable, aurait soulevé la conscience du monde civilisé. Aussi ne pouvait-il en être question. A coup sûr, le gouvernement de la Reine n’y a pas songé, même un instant, et nous sommes convaincus que le major Kitchener, qui est un brave soldat, ne se serait pas fait sans répugnances l’agent d’exécution d’une pareille politique. Il est allé de sa personne à Fashoda ; il y a rencontré le commandant Marchand, et lui a fait connaître qu’il avait l’ordre de son gouvernement d’occuper la place. Le commandant Marchand a répondu avec la plus grande courtoisie qu’il n’avait pas reçu du sien l’ordre de la vider. Le drapeau français flottait déjà sur Fashoda. Le général Kitchener y a planté le drapeau anglais et le drapeau égyptien. Il y manque seulement le drapeau ottoman qui y serait à sa place aussi bien, sinon mieux que tous les autres. L’affaire en est là. Le général Kitchener et le commandant Marchand ont fait tous les deux ce qu’ils devaient faire. Ils ont très correctement rempli leurs rôles. Maintenant, c’est à leurs gouvernemens à négocier. Nous ne demandons pas mieux que de le faire, et nous le ferons dans un esprit de bonne amitié et de conciliation.

Mais nous ne saurions accepter qu’on conteste le bien-fondé de notre occupation. Il ne suffit pas que Fashoda ait appartenu autrefois à l’Egypte pour qu’elle continue de lui appartenir indéfiniment, même