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bien conduite. Enfin le général Kitchener, le vainqueur d’Omdurman, a laissé des sympathies chez nous. Nous ne pouvons pas oublier que, tout jeune encore, en 1870-1871, il s’est engagé dans l’armée française, alors malheureuse, et qu’il a fait avec nos soldats la campagne de la Loire. Rien depuis ne nous a donné à croire que les années écoulées, avec les préoccupations et les intérêts qu’elles ont apportés, aient modifié chez sir Herbert Kitchener ses sentimens d’autrefois. Il remplit en Égypte, avec une grande distinction, ses devoirs de patriote et de soldat : cela ne peut qu’augmenter l’estime qui lui est due.

L’opinion française s’est donc montrée parfaitement équitable envers lui, et personne ne s’est demandé chez nous, au premier moment, si la bataille qu’il venait de remporter n’aurait pas sur notre situation en Afrique quelque contre-coup fâcheux. Aussi n’est-ce pas sans surprise que nous avons reçu des journaux anglais, en réponse aux nôtres, toute une bordée d’articles qui ressemblaient à une tempête de colères et presque de haines. Qu’avions-nous fait pour justifier l’explosion de menaces qu’on faisait gronder sur nos têtes ? Nous avons encore beaucoup de peine à nous l’expliquer. On nous accusait d’avoir envoyé une expédition sur le Nil, et on accusait cette expédition d’avoir atteint son but. Le commandant Marchand, parti du haut Oubangui, était, paraît-il, parvenu à Fashoda, localité insignifiante par elle-même, mais importante par sa situation près du confluent du Bahr-el-Ghazal et du Nil Blanc, à 600 kilomètres environ au sud de Khartoum. Il est bien vrai qu’en 1896 le commandant Marchand est allé rejoindre dans le haut Oubangui la mission Liotard, qui y était depuis 1894. La campagne entreprise par nos vaillans compatriotes, a été une véritable odyssée : ils l’ont soutenue au milieu de mille aventures avec un courage et une persévérance qui n’ont jamais été surpassés. Il faudrait de longues pages pour en raconter les péripéties. A maintes reprises, tout a failli échouer, puis tout a été sauvé. Les Anglais eux-mêmes nous ont annoncé le succès final de M. Marchand. C’est parce qu’il avait planté le premier un drapeau européen à Fashoda, le drapeau de la France, qu’une émotion aussi vive et aussi désordonnée s’est produite en Angleterre. Nous ne savions pas, à Paris, où était la mission Marchand. Depuis plusieurs mois nous manquions de ses nouvelles. Son arrivée à Fashoda n’avait rien d’invraisemblable, mais nous n’étions en mesure, ni de l’affirmer, ni de la démentir. Les missions de ce genre restent longtemps sans communication avec la mère patrie, et, cette ignorance réciproque ajoute quelque chose d’émouvant aux dangers dont elles