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qu’il la poursuit tout de même ? Voilà une confidence qu’il aurait mieux valu ne pas nous faire. On a été plus loin, et par une innovation qui supprime chez nous les derniers vestiges de l’esprit de gouvernement, les journaux ont pu rendre compte de tout ce qui s’est dit et de tout ce qui s’est fait au Conseil des ministres. Nous savons comment a parlé M. Sarrien et comment M. Brisson a répliqué. Nous savons quels ministres se sont prononcés dans le sens du premier et quels autres dans le sens du second. Nous savons les chiffres exacts de la majorité et de la minorité ministérielles. Autrefois les résolutions du gouvernement étaient toujours censées avoir été prises à l’unanimité, et il en est toujours ainsi dans le reste du monde. On croit rêver en voyant des ministres soutenir une opinion et en appliquer une différente. Quelle figure feront-ils ensuite devant le parlement ? Quelle pourra être leur influence ? Quelle confiance aura-t-on en eux ? Dans un pays parlementaire, quand un ministre n’est pas d’accord avec ses collègues, ce n’est pas aux journalistes qu’il court le dire, mais au chef de l’État, auquel il donne sa démission. On a changé tout cela : l’honneur et la force du gouvernement n’en seront pas augmentés.

Heureusement, il nous reste la Cour de cassation, et nous comptons sur elle. Prononcera-t-elle la révision ? Nous nous garderons de toute conjecture à cet égard : la Cour décidera dans sa pleine indépendance s’il y a lieu, ou non, à réviser. Qu’elle dise oui ou qu’elle dise non, sa décision devra être tenue pour bonne par ceux qui, après avoir fait tout leur devoir dans cette affaire, veulent enfin rendre la paix au pays. Mais, pour que son arrêt soit accepté avec pleine sincérité et sécurité de conscience, il devra être fortement motivé. La Cour a tous les moyens de découvrir la vérité : nous lui demandons d’en user. S’il résulte de ses recherches qu’il y a lieu de réviser, soit ; s’il en résulte qu’il n’y a pas lieu de le faire, soit encore ; mais son enquête préalable doit être aussi complète que possible, et ses résultats doivent être exprimés en termes lumineux. Son arrêt, bien que purement juridique, ne s’adressera pas seulement à des juristes. Il importe qu’il soit compris afin d’être admis par tout le monde. Ensuite, le gouvernement sera chargé de le faire respecter ; car nous ne voulons pas croire, bien qu’on l’ait dit, que le gouvernement n’ait cherché en tout cela qu’à se dégager lui-même d’une affaire embarrassante, pour en rejeter la responsabilité sur la magistrature. C’était à lui qu’on s’en prenait, on s’en prendrait désormais à la Cour de cassation ! Il ne le permettra pas. Il vient de s’apercevoir qu’il était chargé, aussi, de faire respecter l’armée, et il a promis de s’en occuper : cela prouve