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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




30 septembre.


L’affaire Dreyfus est-elle enfin redevenue ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être, une affaire purement judiciaire ; et maintenant que la Cour de cassation en est saisie, l’agitation va-t-elle s’apaiser ? Les esprits vont-ils retrouver un peu de calme ? Allons-nous cesser d’échanger des injures ? Depuis un an que cette malheureuse affaire nous paralyse, nous rend indifférens et comme étrangers à tout ce qui n’est pas elle, domine et fausse notre politique intérieure, nous empêche d’accorder l’attention qu’il faudrait à ce qui se passe dans le reste du monde, allons-nous enfin reprendre possession de nous-mêmes ? Si ce n’est pas la seule raison que nous ayons eue de nous rallier à l’idée de la révision, — ni même la principale ; — cette espérance n’a pas non plus été la moindre, et nous aimons à croire que c’est elle qui a dicté la décision du gouvernement. Assurément, après la démission motivée de M. Cavaignac, et la démission non moins motivée du général Zurlinden, si le gouvernement a cru devoir passer outre aux conclusions de la commission consultative du ministère de la Justice, chargée d’examiner si les aveux du colonel Henry étaient de nature à faire présumer l’innocence du condamné de 1894, le gouvernement en a eu ses raisons, et nous les comprenons. Nous aurions seulement voulu qu’il nous les donnât avec plus de promptitude, moins d’hésitations, et plus de franchise.

Le gouvernement est, en effet, en grande partie responsable des obscurités au milieu desquelles nous nous débattons. Qu’il en souffre tout le premier, nous n’en doutons pas, et il y aurait peut-être quelque ironie à exiger de lui des lumières. Il vit au jour le jour, à la merci des moindres incidens. Mais c’est ce dont nous nous plaignons. Le ministère Brisson est depuis assez longtemps en place pour avoir pu se faire une opinion, et il n’a plus le droit de la cher-