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des garnisons, ainsi que la composition des corps et des brigades.

Mais comme les troupes changeaient de garnison tous les deux ans, la composition des brigades changeait aussi, et on avait soin de ne publier le Schematismus qu’au moment où allaient s’opérer les changemens. On apprenait en le lisant ce qui avait été, on ne se doutait pas de ce qui était. Ajoutez que les corps d’armée n’avaient pas tous le même effectif, qu’il y avait des régimens de trois, quatre, cinq ou six bataillons, des bataillons de quatre ou de six compagnies, que telle de ces compagnies était sur le pied de guerre et comptait 220 hommes, que d’autres n’en avaient que 90.

Le prince Kraft n’était pas homme à se décourager ; on ne voulait rien lui dire, il jura de tout savoir. Le premier moyen dont il s’avisa fut de se procurer les numéros de la Gazette de Vienne des six dernières semaines et d’y étudier attentivement les annonces. Un soldat était mort, et on convoquait ses héritiers ; un jugement devait se rendre, et des témoins étaient appelés à comparaître ; le conseil de guerre qui les citait ne pouvait se dispenser de donner son adresse et du même coup celle du régiment. Le prince apprit en peu de temps beaucoup de choses. La méthode qu’il avait adoptée lui semblait, à vrai dire, aussi fastidieuse que rebutante ; il ne se rebutait pas, il employait une partie de ses journées à dépouiller patiemment ses annonces, et il lui arrivait parfois d’en découvrir qui ne l’instruisaient pas, mais qui l’amusaient, celle-ci, par exemple, rédigée en français : « Une maîtresse, ferme dans le français, montre sa langue de dix heures le matin à trois heures l’après-midi. »

Au surplus, il ne se lassait pas de questionner ; on le payait de belles paroles et de propos vagues ; mais quand le questionneur est aussi intelligent qu’indiscret, les propos les plus vagues l’aident à s’orienter. Le prince n’était à Vienne que depuis quelques semaines, et grâce à ses questions et à ses annonces, il savait déjà avec certitude que six corps d’armée et un corps de cavalerie étaient en marche vers l’Est, qu’une armée d’environ 200 000 hommes se concentrait en Bukovine, que sur la frontière de la Transylvanie, du côté de la Valachie, le feld-maréchal Coronini commandait une force d’à peu près 60 000 hommes, qu’il y avait là des indications claires et nettes, que les 60 000 hommes du feld-maréchal Coronini menaçaient les derrières des Russes combattant sur le Danube, que les 200 000 de la Bukovine étaient destinés à une action en Crimée. Il en conclut que, bien que l’Autriche eût donné à la Russie et à la Prusse l’assurance formelle de ses dispositions pacifiques, elle était résolue à entrer en campagne si