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la raison d’État le demandait. Pendant la guerre de Crimée, le monde diplomatique s’est souvent amusé des embarras de conscience de Frédéric-Guillaume, et lorsqu’il envoya à Londres et à Paris le général de Grœben pour y expliquer sa politique, on disait de lui : « Il nous envoie pour nous expliquer une chose inexplicable un homme qui ne sait pas s’expliquer. » Comme l’a remarqué fort justement M. Emile Ollivier, dans cette grave conjoncture, il ne se montra point « mobile et indécis, mais ferme, décidé, sachant ce qu’il voulait et agissant selon ce qu’il voulait. » Il blâmait l’offensive russe dans les principautés ; quand la Russie les eut évacuées, il refusa de s’associer à toute action nouvelle ; se défiant de Napoléon III et des projets des puissances occidentales, résolu à ne point se brouiller avec la Russie, s’il éprouvait une invincible répugnance à faire campagne pour le croissant contre la croix, il se demandait surtout ce qu’il y pourrait gagner, et il y a peu de gens qui puissent se vanter d’avoir croqué des marrons qu’un roi de Prusse avait tirés du feu.

Tiraillé de droite et de gauche, en butte aux obsessions des puissances qui travaillaient à le circonvenir, Frédéric-Guillaume aurait voulu que l’Autriche s’entendît avec lui, que, comme lui, elle observât une stricte neutralité et s’engageât à la faire respecter à l’est comme à l’ouest. Il s’était flatté de la convaincre, et en avril 1854, il avait signé avec elle un traité d’alliance défensive et offensive et une convention militaire, mais en stipulant expressément qu’on ne passerait à l’offensive que d’un commun accord, après entente ultérieure. L’Autriche était-elle dans cette affaire d’une parfaite bonne foi ? Les uns disaient oui et assuraient qu’on pouvait compter sur elle ; d’autres la soupçonnaient d’entretenir des intelligences secrètes avec la France et l’Angleterre ; ils prétendaient que du jour où elle serait certaine d’y trouver son profit, elle déclarerait la guerre à la Russie et exercerait une pression sur la Prusse pour l’entraîner dans sa compromettante entreprise. C’était là un gros problème qu’il importait d’éclaircir, et pour le résoudre, il fallait savoir quelle était la vraie force de l’armée autrichienne, et quels projets semblaient annoncer ses déplacemens, ses marches et ses contremarches.

L’ambassade de Prusse à Vienne ne fournissait à ce sujet aucune information précise. Jusqu’alors les attachés militaires prussiens s’étaient surtout occupés de faire figure dans les bals ; c’était leur principale affaire. Le prince Kraft de Hohenlohe était, lui aussi, un beau valseur, mais il était autre chose encore. Grand travailleur, très appliqué à sa besogne, quelle qu’elle fût, il avait profité de son séjour à