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UNE MISSION D’ATTACHÉ MILITAIRE À VIENNE
PENDANT LA GUERRE DE CRIMÉE

Au mois de juillet 1854, le gouvernement prussien sentit le besoin de se procurer des renseignemens précis et détaillés sur l’armée autrichienne, et il dépêcha à Vienne, comme attaché militaire, un jeune lieutenant de bonne famille, le prince Kraft de Hohenlohe-Ingelfingen, qui, âgé alors de vingt-sept ans et sorti récemment de l’école de guerre, devait être un jour un excellent général d’artillerie. Le roi Frédéric-Guillaume IV, quoi qu’on en pût dire, était heureux dans ses choix. Ce fut lui qui, à l’étonnement universel, envoya comme plénipotentiaire prussien à la diète de Francfort M. de Bismarck, que tout le monde traitait de tête à l’évent, d’enfant terrible du parti conservateur. La mission plus modeste qu’il confia au prince Kraft de Hohenlohe ne pouvait être en de meilleures mains. Le jeune attaché se montra supérieur dans un métier où il était tout neuf : un piquant récit contenu dans le premier volume de ses mémoires en fait foi, on apprit par lui tout ce qu’on voulait savoir[1].

On a été souvent injuste pour le roi Frédéric-Guillaume IV ; on le représentait comme un mystique, qui ne fit jamais que de la politique de sentiment. On oubliait que les rois de Prusse les plus sentimentaux et les plus mystiques ont eu, presque tous, au suprême degré, l’instinct de la conservation et un discernement très net de leurs vrais intérêts. Le prince de Reuss adressa un jour à ses sujets une proclamation qui commençait ainsi : « Depuis vingt-cinq ans, je suis à cheval sur un principe. » Comme le prince de Reuss, tel roi de Prusse s’est targué d’être à cheval sur un principe. Mais il mettait pied à terre dès que

  1. Aus meinem Leben, Aufzeichnungen des Prinzen Kraft zu Hohenlohe-Ingelfingen. 1er vol. Berlin, 1897.