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longueur d’onde correspondante. Lord Rayleigh et W. Ramsay se sont servis de l’étude de ces raies, c’est-à-dire de l’analyse spectrale pour distinguer l’azote de l’argon, et décider si ce dernier gaz était bien préparé et exempt ou non d’azote.

W. Crookes, qui s’est illustré dans cet ordre de recherches par plusieurs découvertes importantes, — nous ne rappellerons ici que celle du thallium, — accepta, sur l’invitation de ses deux compatriotes, de faire l’étude spectroscopique approfondie de l’argon. Il fut immédiatement frappé par une particularité fort curieuse qui consiste en ce que ce gaz présente deux spectres différens suivant les circonstances, tantôt un spectre rouge et tantôt un spectre bleu. On observe le premier si la résistance du gaz est diminuée, et sa pression réduite à un demi-millimètre, ou, ce qui revient au même, si l’intensité de la décharge est augmentée par l’interposition d’une bouteille de Leyde dans le circuit ; on a le spectre rouge si la pression est quintuplée, et, par suite, la résistance accrue. Chacun de ces spectres est formé d’un grand nombre de raies brillantes : il y en a 80 dans le spectre rouge, dont deux très remarquables, et 119 dans le bleu ; sur le total de 199 il n’y en a que 26 qui soient communes aux deux.

Ce phénomène du double spectre n’est cependant pas aussi exceptionnel, et aussi surprenant qu’on serait tenté de le croire. Il n’est pas spécial à l’argon. On peut, en s’y prenant convenablement, l’observer à un moindre degré avec l’oxygène, le chlore, le brome, l’iode, le soufre, le sélénium et le cadmium. Mais voici bien autre chose ! L’argon posséderait peut-être un troisième spectre. M. Newall en effet, en opérant sur le gaz préparé par une méthode qui lui est propre, a obtenu une image de dispersion qui n’a plus que 72 raies communes avec les précédentes.

On doit se demander quelle est la signification de ces phénomènes, ce qui est en définitive une manière indirecte d’examiner les fondemens de la méthode spectroscopique. Il semble bien que le fait d’offrir deux spectres différens implique une différence de composition ou tout au moins de constitution dans les corps qui le présentent, car l’action de la matière sur les vibrations lumineuses est certainement sous la dépendance de sa structure intime. La dualité spectrale trahit donc dans l’argon le mélange de deux substances distinctes chimiquement quant à la nature de leurs atomes constitutifs ; ou si cela n’était pas vrai, elle dévoilerait tout au moins deux groupemens différens des atomes ou des molécules,