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l’état libre il est formé de molécules résultant elles-mêmes de l’union de deux atomes, couplés, fortement accrochés l’un à l’autre et dont nous pouvons nous faire une image grossière en les comparant aux boules d’un haltère. Dès que ce groupement est menacé de rupture, les atomes se recherchent et se ressaisissent avec force pour reconstituer la molécule-haltère. L’énergie de combinaison de chaque atome d’argon s’emploie tout entière dans cet accouplement ; il n’en reste plus rien de disponible pour répondre à l’attraction des atomes étrangers ; et c’est pourquoi le corps libre est extrêmement indifférent vis-à-vis des autres corps.

Le plus grand nombre des corps simples présente une condition analogue, en ce qu’ils n’existent à l’état libre que sous forme de molécule diatomique ou molécule-haltère : seulement l’affinité des deux atomes du couple y est moins énergique ; ils recherchent souvent les atomes étrangers plus fortement qu’ils ne se recherchent entre eux ; et c’est ainsi que s’établit le jeu des combinaisons et des décompositions.

Voilà des spéculations sans doute. Si elles s’introduisent dans notre exposé, c’est que d’abord elles s’étaient introduites dans les recherches dont il doit présenter un tableau exact. D’ailleurs, et sans parler seulement des inventeurs de l’argon, ce sont de telles conceptions, de telles images, qui, implicitement ou explicitement s’imposent aux esprits, inspirent les recherches, expliquent les résultats et donnent de l’intérêt aux faits qui, sans cela, n’auraient que de l’utilité. Sans aller jusqu’à dire, avec M. Ramsay, que les progrès de la science n’ont jamais été effectués sans de telles spéculations, on peut assurer qu’elles exercent une action considérable sur les découvertes scientifiques et qu’elles en éprouvent elles-mêmes une réaction continuelle, en vertu de laquelle elles se modifient, se complètent, se corrigent et se remplacent. Le tout est de savoir les modifier, les corriger et les remplacer à temps, sans s’y entêter. Dans les sciences physiques et naturelles ce corps de doctrines spéculatives, figuratives, à forme plus ou moins indécise ou changeante, marche en quelque sorte en avant de la science comme une lueur et comme un guide.

Pour en revenir à l’atomicité des gaz simples, il importe d’ajouter que, si le plus grand nombre sont diatomiques, il y en a aussi de tétratomiques, etc., c’est-à-dire qui, à l’état libre, sont formés de molécules groupant ensemble quatre atomes : les vapeurs de phosphore et d’arsenic sont dans ce cas. Il y en a enfin qui sont