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et Ouvrard ont réussi à unir, sous l’action de l’effluve, l’argon à la vapeur de magnésium. D’après ces faits, l’inactivité du nouveau gaz, tout en restant considérable, ne serait pas absolue.

Mais cette inaptitude aux actions chimiques, qu’elle soit absolue ou seulement relative, comment s’explique-t-elle ? Quelle idée peut-on s’en former d’après les doctrines régnantes ?

La résistance de l’argon à entrer directement en combinaison avec d’autres corps, au lieu de s’interpréter comme une preuve de l’inertie essentielle de ses atomes pourrait recevoir une signification contraire. L’atome de l’argon serait une des formes les plus actives de la matière. Son indifférence à l’égard des autres corps résulterait de l’excessive attraction qu’il éprouve pour lui-même ; elle serait l’effet d’un égotisme chimique poussé à l’extrême. Ceci demande explication. Suivant la doctrine encore régnante en chimie, la matière est conçue comme formée de particules séparées par des distances et soumises à des forces. Ces particules sont de deux espèces : l’atome qui est l’élément chimique, et la molécule qui est l’élément physique, ordinairement constitué par un groupement d’atomes. De même, il faut établir une distinction — au moins provisoire — entre les forces ; les forces physiques sont générales : elles s’appliquent aux molécules et aux atomes, elles s’exercent à longue et à courte distance. Les forces chimiques sont spéciales à l’atome ; elles n’agissent qu’à courte distance, à portée atomique.

Ainsi, il n’y a point de forces chimiques véritables entre les molécules, simples élémens physiques : il n’y a que des forces physiques. Les forces chimiques sont d’atome à atome. Nous exprimons, en parlant ainsi, d’une façon explicite et nette ce qui est contenu d’une façon implicite et obscure dans les définitions de l’atome et de la molécule ; l’atome étant la plus petite partie d’un corps qui puisse « entrer en combinaison » et la molécule, la plus petite partie d’un corps qui puisse « exister à l’état libre » et manifester les propriétés physiques des corps libres.

On déduit de là une première idée du rôle préparatoire que jouent les agens physiques dans les réactions de la chimie. Le jeu des forces chimiques commence avec la rupture de la molécule, lorsque les forces physiques s’annulent par rapport aux atomes ou les amènent à portée atomique.

Si maintenant nous revenons à l’argon, nous supposerons d’abord avec W. Crookes qu’il est diatomique ; c’est-à-dire qu’à