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l’Europe devrait installer à Constantinople. Les pouvoirs de la commission, qu’on le remarque, seraient nécessairement fort larges. Si l’on suppose, par exemple, qu’un ingénieur ou un chimiste a trouvé de nouveaux engins capables de compenser l’infériorité numérique d’une armée, ne faudrait-il pas obtenir de cette délégation la permission d’employer des instrumens de destruction naguère inconnus qui mettraient un pays hors de pair et rompraient l’équilibre issu du désarmement ? L’Angleterre pourrait-elle encore, comme elle le fit il y a trente ans[1], exiger qu’on laissât le champ libre à ces inventeurs ?

Cependant plus les attributions de la commission permanente seront étendues, plus il sera difficile de la constituer. La conférence interparlementaire de la paix réunie à Bruxelles a tenté d’organiser sur le papier, en août 1895, une cour internationale permanente d’arbitrage, mais avec bien de la peine et non sans de vifs débats où plusieurs orateurs ont fait ressortir les côtés faibles du projet.

Il ne s’agissait pourtant que de former et de composer un corps judiciaire. Mais la délégation chargée de veiller à l’exécution du pacte universel et de la suspendre au besoin serait investie de véritables attributions législatives internationales. Elle aurait à résoudre d’urgence les plus graves questions politiques et tiendrait dans ses mains, à certains momens, le sort des empires. Peut-on concevoir que les chefs d’État et les parlemens abdiquent à son profit ? Les États vont-ils transporter à une poignée de diplomates et de jurisconsultes la meilleure part de leur souveraineté ? C’est invraisemblable.

Admettons néanmoins que les puissances, après s’être accordées sur le principe du désarmement, s’entendent sur les mesures à prendre pour en assurer l’exécution. Nul ne peut se figurer qu’aucun membre de la communauté ne s’avisera, quelque jour, de violer ou d’éluder la nouvelle règle internationale. On ne peut empêcher ni les rois ni les peuples de mésuser de leur libre arbitre, et c’est pourquoi le cardinal Fleury recommandait à l’abbé de Saint-Pierre de préluder à l’établissement de la paix perpétuelle en envoyant des missionnaires dans toutes les cours de l’Europe. Le vote de la plus auguste assemblée n’éteindra pas dans le cœur d’une nation les après convoitises, l’amour de la

  1. Alors que la Prusse proposait d’interdire par une déclaration internationale certains moyens de nuire à l’ennemi (29 juin 1868).