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maintien de tous les traités existans tant qu’ils ne seraient pas abolis ou modifiés d’un commun accord entre les parties contractantes. » Donc, si les puissances croyaient encore pouvoir se conformer au programme de 1831, le désarmement serait lié très étroitement au statu quo territorial, subordonné par conséquent au maintien d’un certain ordre international issu des traités en vigueur et de la possession actuelle.

C’est là, sans nul doute, une source de difficultés. A Dieu ne plaise que nous méconnaissions la valeur obligatoire des traités ! Les États, comme les individus, se lient entre eux par des contrats. Nous ne nous figurons pas avec Heffter[1] qu’un traité devient nul dès qu’il se trouve en contradiction avec le bien-être du peuple, ni avec Bluntschli[2] qu’un État peut se délier à lui seul d’une obligation quand elle entrave son libre développement. Nous n’oublions pas que, si la Russie se regarda comme dégagée, en octobre 1870, par un simple concours de circonstances, de certaines obligations contenues dans trois articles du traité de Paris (30 mars 1856) et dans la convention russo-turque relative aux détroits (même date), les plénipotentiaires de l’Allemagne, de l’Angleterre, de l’Autriche, de l’Italie, de la Turquie et de l’empire russe lui-même rédigèrent à ce sujet dans la conférence de Londres (17 janvier 1871) un protocole ainsi conçu : « C’est un principe essentiel du droit des gens qu’aucune puissance ne puisse se libérer des engagemens d’un traité ni en modifier les stipulations qu’à la suite de l’assentiment des parties contractantes au moyen d’une entente amicale. » Mais, tout cela posé, nous ne croyons pas qu’un seul diplomate ou qu’un seul jurisconsulte puisse contester les propositions suivantes : 1° Même en signant un traité de paix amené par la force des armes où, par suite, l’emploi de la contrainte est normal, le vainqueur peut encore abuser de sa victoire[3] : or certains États peuvent hésiter à sanctionner un semblable abus par le consensus gentium et à entretenir par-là même une sorte de perturbation dans l’ensemble des relations internationales ; 2° des vicissitudes se produisant dans la vie des peuples, les traités, quelque respect qu’on leur doive, s’éteignent

  1. Le Droit international de l’Europe, § 98.
  2. Le Droit international codifié, art. 415, 456, 458, 460.
  3. « Le vainqueur, dit l’excellent jurisconsulte allemand Geiffcken (sur Heffter, § 82, note 1), peut abuser de sa victoire, et alors le vaincu profitera de la première occasion pour échapper aux conditions qui lui sont imposées… »