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peux pas, comme le lion amoureux, laisser rogner mes pattes et limer mes dents. Si tout le monde ne désarme pas, nul ne désarmera. Mais tel est le prestige de celui qui propose le désarmement, tel est son ascendant sur le monde qu’on peut, ce semble, compter sur une adhésion universelle à l’idée fondamentale. Les moins délicats ont besoin de ménager leur réputation, même dans la vie internationale. Une puissance qui prétendrait écarter le principe même de la proposition par la question préalable se mettrait dans son tort et s’exposerait aux ressentimens légitimes de tous les peuples.

L’ère des difficultés commencera peut-être quand, après l’adhésion générale de la première heure, il faudra chercher les voies et moyens, c’est-à-dire faire passer l’idée dans le domaine des réalités.

Une première pensée s’offre à l’esprit. Commencera-t-on par bouleverser la géographie politique avant d’arriver au désarmement ? Tel était sans doute le plan du « grand dessein » que les Économies royales attribuent à Henri IV : ce prince devait, avant de réorganiser l’Europe et d’assurer la paix universelle en assignant à quinze nouveaux États des frontières définitives, entreprendre une guerre colossale qui serait la dernière.

Mais il est certain que le projet du tsar ne se présente pas sous cet aspect chimérique. Les hommes d’État et les publicistes qui commentent la circulaire russe ont plutôt reporté leur esprit vers la proposition de désarmement qui fut faite après la révolution de Juillet par le gouvernement de Louis-Philippe. Tout le monde sait que des conférences se tinrent à Paris, dans le courant de l’année 1831, entre les ambassadeurs des cinq grandes puissances. Elles aboutirent à la rédaction d’un protocole où je lis : « Les soussignés, dans le but d’affermir la paix générale et de soulager les peuples du fardeau des arméniens extraordinaires qui leur sont imposés, ont reconnu avec une vive satisfaction, après un examen attentif de la situation actuelle de l’Europe, que les rapports d’union et de bonne harmonie heureusement établis entre les puissances et basés sur l’indépendance des États ainsi que sur le principe inaltérable du maintien des traités, rendent aujourd’hui possible l’adoption d’une mesure qui forme l’objet des vœux les plus ardens de leurs gouvernemens, celle d’un désarmement général… » Metternich insiste dans ses Mémoires : la base même de l’accord à intervenir était, à ses yeux, « le