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Cette accumulation d’hommes et ce renouvellement continu du matériel ont d’immenses inconvéniens. Chacun les connaît. Je me borne à rappeler le plus clair, c’est-à-dire l’excès des dépenses qu’entraîne le régime de la paix armée. D’après le budget français de 1898, le chiffre des dépenses militaires prévues est de 926 944 933 francs, dont 640 millions pour l’armée, 287 pour la flotte, et, comme il faut ajouter annuellement un certain nombre de millions votés à titre extraordinaire ou supplémentaire, on peut évaluer à un milliard le total définitif. Les budgets des autres États plient, comme le nôtre, sous un aussi lourd fardeau.

C’est pourquoi le jeune empereur de Russie, en conviant les puissances à chercher les moyens de mettre un terme à la paix armée, vient de rendre un service au monde civilisé. Le droit est l’asile du faible : aussi les petits États, qui seraient écrasés en un clin d’œil si le fort usait de sa force, évoquent-ils naturellement l’image de la justice internationale. Ce qu’il faut admirer, c’est le fort cherchant à limiter l’empire de la force. Alors que des philosophes, des jurisconsultes et quelques hommes d’État s’appliquent, malgré certains sarcasmes, à restreindre les maux de la guerre et à préparer la solution pacifique des conflits internationaux, il est beau de voir la première puissance militaire du globe coopérer à ce généreux effort. Il faut applaudir et s’incliner quand le plus redoutable des chefs militaires apporte à l’univers fatigué par l’excès des armemens une proposition de désarmement.


I

Mais plus la tâche est sublime, plus il importe d’examiner comment elle peut être achevée. Ce n’est pas en fermant les yeux, c’est en les ouvrant qu’on peut atteindre le but ou s’en approcher. Pour surmonter les obstacles, sachons d’abord les apercevoir.

Ce n’est pas même signaler un obstacle que de faire ressortir la nécessité d’une entente commune. Il faut, non seulement pour accomplir, mais pour tenter cette vaste réforme, obtenir l’assentiment unanime des États, y compris les États-Unis d’Amérique, qui décrètent, au moment même où la circulaire du comte Mouraview est lancée, la construction d’une nouvelle flotte. Si mon voisin reste armé jusqu’aux dents, la main sur la garde de son épée, épiant le moment favorable et prêt à m’envelopper, je ne