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divers de l’espèce humaine, une trop large part, surtout dans les conditions de la récolte actuelle, est laissée à l’indétermination. Je retire donc avec précaution, non sans regret, les têtes que j’avais déjà mises dans mon sac, j’enlève les papiers dont j’avais enveloppé chacune d’elles, puis un à un, avec soin, presque avec respect, je repose sur le sol tous ces crânes, qui semblent m’adresser comme un muet remerciement du regard de leurs grands yeux vides…

Maintenant, en avant ! Les équilibristes que nous observions sont arrivés au terme de leur tour de force ; ils nous laissent le passage libre. Nos chevaux et nos hommes ont soufflé. Nous nous engageons à notre tour sur l’étroit sentier, non sans de grandes difficultés, car la neige nouvellement tombée forme sur la neige ancienne, durcie par la gelée de la nuit précédente, une couche non adhérente, et qui glisse avec nous. Remorquant nos animaux, nous grimpons malaisément, sous la rafale de neige, qui continue. Chi-Othman, qui marche le premier, culbute avec son cheval, sur lequel il est remonté en arrivant tout près du sommet, et tous deux font une terrible glissade d’une centaine de mètres, qui aurait pu ne se terminer qu’au bas de la pente, à l’endroit où étaient accumulés les os de nos précurseurs. J’eus un moment d’angoisse pour eux. Mais ils s’arrêtèrent en route, grâce à la présence d’esprit et à la sagacité du maître et de l’animal. Celui-ci, un petit cheval blanc, maigre, au poil hérissé, s’arc-boutant sur ses genoux et sur la pince de ses sabots, parvint à enrayer la descente sur la pente de glace. Puis, immobile dans cette position, la tête basse, le nez sur le sol, il attendit, sans faire un mouvement, que son cavalier, presque aussi gros que lui, se fût avancé, à plat ventre, avec des prodiges de précaution pour ne pas rompre l’équilibre, par-dessus ses oreilles, jusqu’au moment où il eut pris contact avec le sol, auquel il se cramponna des pieds et des mains. Le cheval, débarrassé de ce poids, le suivit, et un instant après tous deux nous rejoignaient au sommet de l’arête, où Chi-Othman s’adressait à lui-même d’exubérantes félicitations. Tout en haut, nous trouvâmes un groupe de chameaux et de chameliers faisant partie d’une caravane venue de l’autre versant, dont nous avions précédemment rencontré la fraction principale, quelque temps auparavant. Ceux-ci étaient singulièrement empêchés : le verglas était plus fort que ne l’avaient prévu les conducteurs, et leurs animaux, moins habiles sur la