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Les genévriers, les sorbiers, le hassa Moussa (bâton de Moïse) grand arbuste très spécial et peu connu, aux branches flexibles et bizarrement cannelées, aux feuilles étoilées, forment le fond de la végétation. Je recueille des échantillons et des semences d’une espèce de pommier à fruits rouges que je crois nouvelle pour les botanistes. Elle est assez voisine du pommier dit de Paradis, mais cependant bien distincte. Si ce n’est pas le pommier du Paradis terrestre, c’est du moins, dans l’hypothèse où l’Eden aurait occupé la vallée d’Alaï, celui qui s’en rapproche le plus par son habitat. J’ai pu rapporter de ses graines au Muséum. Elles n’y ont pas poussé, malgré le voisinage des serpens.

A notre droite et à notre gauche, s’élèvent, presque à pic, des pentes hautes de plusieurs milliers de pieds, et que revêt tant bien que mal une maigre forêt d’artchas (Juniperus macrocarpa). La saison n’est pas favorable, au point de vue de la beauté des sites. La forêt privée de toute autre verdure que celle des genévriers et les arbres dépouillés de leurs feuilles ont un aspect qui ne porte pas à la gaîté. Pourtant on se rend compte que, pendant la belle saison, cette vallée doit être toute fleurie et charmante à parcourir.

Nous notons, en passant, quelques vallées latérales, notamment, sur le versant sud, celle du Kaïndi, qui s’élève rapidement jusqu’au sommet des crêtes de l’Alaï, et par laquelle on peut accéder à deux lacs fort curieux et de grande altitude : le Bosoga-Koul et le Kouldouk-Koul. Je voudrais m’arrêter pour jeter un coup d’œil sur les endroits très pittoresques que nous traversons, ou pour visiter quelques-unes des cavernes qui sont nombreuses dans cette vallée, et autour desquelles je relève une grande quantité de traces d’animaux. Mais notre guide ne m’en laisse pas le temps. Il faut, dit-il, nous hâter pour pouvoir camper avant la nuit à l’entrée de la gorge qui conduit au col de Terek-Davan et les jours sont déjà bien courts. J’obéis à ce mentor, étant à sa merci et ne pouvant contrôler ses assertions. A un moment donné, j’aperçois un irbiz (Felis irbis), sorte de panthère à pattes courtes, à très belle fourrure et à très longue queue, animal rare dans les collections européennes, appelé aussi panthère grise ou panthère kirghize. Je ne peux résister à la tentation de lui envoyer un coup de fusil, sans l’atteindre, d’ailleurs. La bête se réfugie dans des rochers situés à peu de distance, et où je serais bien tenté de la poursuivre. Mais le misérable guide trottine toujours devant nous