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village. Nous nous bornons à y donner un coup d’œil et à recevoir une courte visite du chef qui partage avec Chi-Othman l’administration de la localité et des tribus voisines. Celui-là est un vieillard que son âge et ses infirmités empêchent, nous dit-il, de nous accompagner en personne. Mais il ordonne à l’un de ses hommes de nous conduire jusqu’à notre campement du soir. Ce nouveau guide a la physionomie intelligente et les traits accentués : à en juger par son nez long et aquilin, ses sourcils épais, ses yeux largement ouverts, son visage ovale, il doit être d’origine afghane ou appartenir à quelque race aryenne de ces montagnes. Il prend aussitôt la tête de la petite troupe et nous excite à la marche, avec une parfaite connaissance du terrain, mais avec un empressement que je trouve excessif, vu l’intérêt que présente pour moi l’étude des localités traversées. Il ne nous permet pas un instant de souffler ni d’admirer le paysage, ce que je regrette, car celui-ci devient moins âpre ; le décor est ravissant et tout à fait pittoresque dans ses détails.

Aussitôt après avoir dépassé Soufi-Kourgan (la forteresse du sage) nous entrons dans une gorge très étroite où coule le Terek-Sou. Cette gorge, profondément entaillée dans des calcaires fort durs et compacts, de couleur blanche, est très encaissée. Le fond n’y a que juste la largeur nécessaire au passage du torrent qui l’a creusée par érosion. C’est là que nous sommes forcés de faire nos premiers exercices d’équilibre. Il nous faut, après avoir quitté le village, nous élever sur le flanc du versant exposé au nord, en suivant des sentiers de chèvre auxquels les parapets manquent absolument. Plus loin, pendant deux heures, le sentier remonte le fond de la gorge en serpentant de la façon la plus pittoresque à travers le fourré qui couvre les bords du ruisseau. Assez souvent, il nous faut passer d’une rive à l’autre. Cette traversée se fait sur des ponts primitifs, formés généralement de deux ou trois troncs de genévriers jetés entre les deux rives, parfois même d’un seul. Les chevaux y passent avec une adresse extrême. Pourtant, quelquefois, ces ponceaux sont en si mauvais état que nous sommes obligés de franchir l’eau à gué et de prendre un bain, lequel, par cette température, n’est pas un plaisir. Le ruisseau, au cours rapide, encadré de rochers d’un blanc mat, sur lequel se dressent ou retombent des arbustes touffus, est bien joli et ses bords présentent à chaque pas un nouveau décor ; malheureusement, en cette saison, nous n’en voyons que la charpente.