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mosquée. Son altitude est de 5 680 pieds. Nous remontons ensuite la vallée d’un ruisseau que l’on nomme Ousou-Sakas ; cette vallée est encaissée par des grès rouges et verts dont la formation géologique est très intéressante ; plusieurs pitons, érodés par les eaux ou par les vents, ont des silhouettes extraordinaires. A l’un des détours de cette vallée, qui décrit de nombreuses sinuosités, l’un de ces monolithes ressemble, comme le fait remarquer le djiguite qui me sert de guide, à une femme portant un plat de pillao sur sa tête. Le guide ajoute à cette remarque une histoire très longue mais très peu claire, d’où il résulte qu’une femme du pays a subi cette pénible métamorphose à une époque ancienne, en punition de certains torts envers son mari. Je démêle mal quels sont ces torts, mais ils me paraissent être non pas d’ordre moral, comme on pourrait le croire, — c’est ici chose vénielle, — mais d’ordre culinaire, grief du genre le plus grave aux yeux d’un Turc de ces régions. Nous faisons ensuite l’ascension monotone d’un nouveau col, celui de Tchil-belli, haut de 6 930 pieds, puis, par une descente rocailleuse, nous marchons vers le fortin de Gouldcha, que nous apercevons en bas, à une distance de 8 kilomètres environ, sur les bords de la rivière du même nom. Gouldcha est le centre d’une assez importante agglomération de nomades, mais, comme tous les Kirghiz de la montagne, ils ne font pas de constructions et n’ont que des tentes de feutre plus ou moins mobiles. Nous en distinguons un groupe assez gros, et c’est là, nous dit-on, la résidence de l’un des principaux chefs indigènes. Il nous attend. Il a été prévenu de mon passage par le colonel Deibner. En arrivant dans le fond de la vallée, large en cet endroit d’environ un kilomètre, nous cheminons entre des fourrés épineux qui servent de refuge à de nombreux faisans : c’est un admirable terrain de chasse. Ces oiseaux courent devant nos chevaux dans tous les sens. Depuis le matin, nous avons fait 40 kilomètres.

La Gouldcha est une grosse rivière, assez grosse pour n’être presque nulle part guéable ; c’est un des principaux affluens du Syr Daria, et c’est sa vallée que nous allons remonter pour gagner les cols de l’Alaï. Je constate, non sans quelque contrariété, que nous ne sommes plus qu’à l’altitude de 4 850 pieds, c’est-à-dire que nous avons gagné bien peu de hauteur depuis Och, qui est déjà à 4 030. Les deux ascensions de cols que nous avons faites, au prix d’une certaine fatigue et par un froid assez aigre, sont donc