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de caractériser, de préciser un état d’esprit. La détermination de cet état est son but, quand même l’exagération serait son moyen. Ce qui arrive ensuite est affaire au public, non à lui. Il ne sait pas plus quel effet produira son coup de lumière que le chimiste ne sait quand il trouve, dans un corps, une nouvelle propriété, si sa découverte fera le bonheur ou le malheur de l’humanité.

On a vu dernièrement dans le Puck de New-York ceci : Du milieu des eaux, une île toute noire se dresse et érige son sommet d’encre jusque parmi les nuages. Elle a confusément la forme d’un mineur qui fouille et cherche du charbon. Sur ses pentes flotte le drapeau aux trois croix superposées et s’allonge le col effilé des canons. À ses pieds, sur un môle, se tient John Bull. Autour d’elle, s’approchent des vaisseaux où se tiennent le tsar, l’empereur Guillaume et le représentant de la France. Et ces trois chefs d’État saluent John Bull en lui demandant la permission d’atterrir. Mais sur le môle est écrit : magasin privé, et le géant noir enchaîné dans le roc souriant mystérieusement est hors des atteintes européennes. Au-dessous sont écrits ces mots : Le charbon est roi dans l’Extrême-Orient. L’auteur de ce dessin a rendu sensible une idée abstraite, et rapide comme la foudre un long raisonnement. L’image se grave dans la mémoire mieux que cent articles de journaux sur le même objet.

Par l’obligation où il est de montrer plastiquement ce que les paroles veulent dire, le caricaturiste est le contraire même du diplomate. C’est un dissipateur de nuages et, en ce sens, le titre du journal caricatural de Zurich, le Nebelspalter, est une véritable définition. Du bec de sa plume, il troue le nuage des formules protocolaires et des barbes, il les balaie. Tandis que le gouvernement ottoman répond respectueusement à l’Europe, par des notes onctueuses et réticentes, qu’il mettra ses avis à profit, le caricaturiste montre le Turc faisant un pied de nez aux musiciens du concert européen qui lui donnent une sérénade. Tandis que les généraux de l’Espagne et des États-Unis se saluent et se congratulent, sur la place de Santiago, renouvelant le tableau des Lances de Velazquez, le caricaturiste nous montre le toréador à terre, râlant sous les coups de corne du taureau Mac Kinley. Il jette ainsi des lueurs falotes mais terriblement suggestives sur les choses que la civilisation s’efforce de voiler, de confondre, ou de dissimuler.

Parla, le caricaturiste moderne tient le milieu entre le bouffon