lui. Sympathie n’est pas fille d’admiration. Il est des gens dont nous voyons les défauts à merveille, que nous raillons même à l’occasion et que nous aimons beaucoup, tant pour les qualités qui leur restent que pour les défauts mêmes que nous avons raillés. Il est d’autres hommes sans faiblesse apparente où sache la moquerie se prendre. Pour peu qu’un différend s’élève, on les déteste d’autant qu’on les admire. Comme l’ombre croît avec la statue, le ressentiment grandit avec l’idée haute qu’on se fait de l’objet, et avec l’impuissance où l’on se sent de le tourner en dérision. Cette haine ne pouvant s’épancher en rires, se tourne en quelque chose de beaucoup plus grave, en actes. Si l’on avait ri, on était désarmé.
Quelques-uns l’ont senti et n’ont pas tenu rigueur à leurs caricaturistes. Louis-Philippe fut de ceux-là, et M. de Bismarck en fut aussi, l’un par bonté, l’autre par intelligence. On sait l’histoire du roi des Français et du gamin qui dessinait une « poire » sur le mur du parc de Neuilly. L’un, qui passait par-là sans escorte, vit l’autre s’appliquant beaucoup à cette œuvre de lèse-majesté. Mais le petit bras de l’enfant ne s’élevait pas à la hauteur de sa bonne volonté, aussi pleurait-il de ne pouvoir figurer à sa satisfaction, le sommet du fruit délictueux. Le roi le prit en pitié, termina lui-même la poire et donna au petit caricaturiste une pièce de cent sous, en lui disant : « Il y a une poire aussi là-dessus. » Tel fut le grand cœur du monarque piriforme et constitutionnel.
M. de Bismarck, pareillement, rit souvent « des charges » dont il fut l’objet. Elles lui firent si peu de mal ! Il demeura pendant un demi-siècle le point de mire des caricaturistes du monde entier. M. Grand-Carteret a rempli, dès 1890, tout un volume des plus notables de ces railleries. On pourrait en faire plusieurs autres aujourd’hui. À quoi ont servi ces milliers de projectiles ? Quand on voit comme le géant de Friedrichsruhe a secoué aisément toutes ces petites ironies, il semble en vérité qu’on aperçoive, au naturel, « comment Gargantua, soi peignant, faisait tomber de ses cheveux les boullets d’artillerie » reçus au siège du château de Vède. Jamais ne fut mieux prouvée l’impuissance de la caricature.
À dire le vrai, tous les grands caricaturés ne montrèrent point cette insouciance. Et la colère qui les prit contribua beaucoup à entretenir, chez les caricaturistes, l’illusion que leur arme avait quelque efficacité. Louis XIV était si chatouilleux qu’il faisait