des fantoches atrabilaires. Seul, don Quichotte aurait l’idée de tirer l’épée et de fondre sur eux. En les pourfendant, on ne ferait couler que du son.
Mais tandis qu’il poursuit un but nettement chauvin et qu’il livre les étrangers, les intrus, les cosmopolites à la risée de ses compatriotes, M. Caran d’Ache emploie des moyens d’expression tout à fait cosmopolites eux-mêmes. Ce sont visiblement les caricaturistes d’outre-Rhin qui lui ont fourni les meilleurs de ses thèmes, et s’il caricature les Américains, il ne leur emprunte pas moins des formules. Ses histoires sans paroles sont renouvelées de Wilhelm Busch ; les aventures comiques de ses lions et de ses serpens font suite à celle des lions et des serpens d’Adolf Oberlaender ; les têtes si expressives de ses bouledogues rappellent les petits chiots d’Emil Reinicke et aussi ceux du xylographe Hans Schliessmann. Les attitudes et les gestes de ses figurans de théâtre dans sa Cavalleria corsicana, par exemple, évoquent les figurans d’opéra d’Oberlaender des Fliegende Blaetter. Les savans découpages de son Épopée ressemblent aux dessins d’ombre de Schulz. Son goût du comique dans le détail et l’infiniment petit fait songer à Lothar Meggendorfer ; la complication de ses grandes allégories aux planches immenses et touffues de Carl Reinhardt et de Moritz von Schwind. Enfin, si l’on compare certains dessins, par exemple, sa flottille de fiancés européens arrivant en Amérique (Lundis du Figaro, 1898) à la planche de M. Dana Gibson : Cheer up girls ! they are coming (Pictures of People, 1896), on demeure convaincu qu’il y a beaucoup d’affinité entre les conceptions du dessinateur américain et celles de l’adversaire résolu des intrusions étrangères. Et ceci n’ôte rien au mérite de M. Caran d’Ache, dont la personnalité enjouée renouvelle entièrement ce qu’elle s’assimile, et prête aux étrangers plus encore qu’elle ne leur emprunte, mais on voit par-là combien il est plus facile de combattre aujourd’hui le cosmopolitisme que de lui échapper. On peut rompre avec son temps par la pensée qu’on exprime. Il vous ressaisit par l’expression.
Aussi bien son esprit est-il moins parisien que son crayon.. La plume de M. Caran d’Ache, légère quand elle dessine, devient lourde quand elle écrit. S’il veut éclaircir, il complique : il met des notes à ses éclaircissemens, des explications à ses notes, multiplie les parenthèses, déroule des lèvres de ses figures les philactères qu’on n’avait guère revus depuis Fra Angelico. Mais s’il