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bénisseurs et dérobeurs, ayant toujours quelque volaille sous leur cagoule, maîtres goupils dont les queues serviront de goupillons, fous de cour dégainant leur marotte, « monochordisant » des doigts et « diabliculant » de cent manières, cerfs et ânes disant la messe avec le ciboire et l’évangile, ménestrels viellistes, truies flûtistes, ours cornemusards, sirènes violonistes, ânes harpistes, ramassis rampant et grouillant, parmi des luths, des rebecs, des cloches qu’ils trinqueballent, de marmiteux, de gastrolâtres et de « poivrots » « escorchant le regnard, » dans une basse-cour des Miracles où il semble qu’on ait voulu traduire les remontrances des Conciles par des figures du Bestiaire d’Amour

Ces poupées appartiennent encore à la caricature grotesque. Mais depuis l’Antiquité la pensée du grotesque a changé. Tout à fait inconvenantes par leurs aspects, ces satires sont morales par leur but. Si on fait les gens laids et ridicules, c’est pour leur apprendre à être bons. On enlaidit le diable et ses dupes pour les punir. On sculpte au coin du jubé de Notre-Dame la caricature de l’avocat général Pierre de Cugnières, ennemi de l’Eglise, et les clercs brûlent avec leurs cierges le nez de cette petite figure hideuse de damné. La caricature comprise ainsi ne fait rire que pour faire peur. Elle ne déforme que pour réformer. C’est la risée employée comme moyen de répression. Les grands caricaturent les petits. Les juges condamnent les criminels à la fois à mort et au ridicule. Ainsi, les victimes de l’Inquisition montaient sur le bûcher, affligées de bonnets pointus, et du san benito, espèce de chape peinte de grotesques, afin que leur apparition fît rire la pieuse foule. On sait comment, à Florence, on peignait les conspirateurs la tête en bas, et comment, à Venise, au XIVe siècle, lors du jugement de Marino Faliero, le Sénat proposa de modifier son portrait de façon à le montrer décapité. C’est la caricature pénale.

Cette idée de punir par le ridicule s’est perpétuée jusqu’à nos jours et l’on retrouve un bénin souvenir du san benito des autodafés, dans le bonnet d’âne de nos écoles primaires. Elle hante encore certains esprits. Dernièrement un sociologue, justement préoccupé de la diminution de la natalité en France, a proposé des châtimens contre les célibataires. Or celui qu’il avait imaginé n’était-il point de les obliger à ne se montrer que revêtus d’une robe couleur feuille morte, — costume qui nous semble, en vérité, magnifique, — et, après deux ans d’endurcissement, d’un costume tacheté imitant la peau de tigre ? Il ne doutait pas que la crainte