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fantaisie chez l’artiste, plus de bonhomie chez le censeur. C’est l’époque de la raillerie sculpturale. Au moyen âge, la caricature s’est faite statue. Cette statuette-charge, qui ne fut avec Dantan et Daumier au XIXe siècle qu’un accident, occupa pendant plusieurs siècles les loisirs de tous les « tailleurs de pierres vives » ou « maistres huchiers » qui décoraient les cathédrales. Ces maîtres caricaturistes étaient ordinairement Flamands. Ils décoraient chaires et stalles pour 25 sols par figure. On connaît peu leurs noms. Cependant on sait que l’un d’eux s’appelait Syrlin et si vous visitez l’admirable chœur de la cathédrale d’Amiens, vous verrez le nom d’un autre sculpté sous sa propre charge, faite par lui-même, le fameux Trupin. Regardez alors cette figurine accroupie, le marteau en main. C’est le Forain du moyen âge. Son rire froid glapit encore dans l’immense dentelle de cette féerique œuvre de hucherie et résonne mieux que les frêles colonnettes pincées par le custode qui s’attarde puérilement à jouer <le la harpe avec cette architecture.

Ces pieux railleurs chantournaient, selon toutes sortes de formes étranges, les pendentifs des plafonds des stalles et ces petits sièges sournois où les prélats se prélassent pendant l’office, mi-assis, mi-debout, conciliant leurs aises avec les prescriptions canoniques, sièges qui, en raison de leur tolérant usage, ont reçu le nom de miséricordes. Là, sont caricaturés tous les métiers et tous les types : l’apothicaire, le porteur de bois, le boulanger, le maréchal-ferrant qui ferre une oie, le tonnelier attentif à ses cercles, et surtout le moine, le beau et gras moine, moinant de moinerie des fabliaux, « bien fendu de gueule, bien advantagé en nez, beau despescheur d’heures, beau desbrideur de messes, beau descroteur de vigiles ; » puis le bourgeois ventripotent et émerillonné dans les soucis les plus temporels, « considérant le branlement des broches, l’harmonie des contre-hastiers, la position des lardons, et la température des potaiges ; » ou roulant un barillet sur son ventre et plongeant sa langue à même « l’eau bénite de cave, » vilains et clercs humant le piot, débondant la futaille, lutinant des bacchantes, têtes grimaçantes dans leurs coqueluchons, corps se permettant d’indescriptibles incongruités, truies qui filent, évêques qui tiennent d’une main la marotte des fous et qui bénissent de l’autre, polissons qui se divertissent au jeu du « pet-en-gueule, » renards vêtus du froc et prêchant à des poules, s’encapuchonnant pour faire des grimaces aux passans, singeant l’office,