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quelque idée, mais simplement pour réaliser la laideur et par là exciter le rire.

Car l’antiquité tout entière a ri de la laideur. Figurines en terre cuite, en bronze, traits des cornalines, peintures de fresques, de vases, qui ressemblent à des ventres, ou de rhytons qui ressemblent à des têtes d’animaux décapités, portraits de Pappus et de Maccus, monstres des pays lointains : Acéphales, Macrocrânes, Hèmantocèles, Tétrapodes, Monocoles, Cynocéphales, Monotocèles, Astomes, Thibiens, qu’on reconnaît, dit Pline, à ce qu’ils ont dans un œil une pupille double et dans l’autre une effigie de cheval, ne suggèrent qu’une idée : le mépris de la laideur et, par contre-suggestion, le culte de la Beauté. Aucune psychologie, aucun comique sous-cutané. Tout ridicule est à fleur de peau. Les figures mêmes ne font pas de mouvemens : ce sont des masques, c’est la persona, c’est-à-dire l’immuable dans la laideur. L’auteur dramatique peut, — même avec ces figures, — faire œuvre de psychologue en disant ce qui s’agite sous le masque :


Heredis fletus sub persona risus est.


Mais le dessinateur ne le peut pas. Il ne saurait indiquer la variété des impressions que par la variété des expressions, et la particularité de l’âme que par la particularité des gestes. Or, dans la caricature antique, le geste est banal, l’expression absente ! La laideur seule est visible, immobile et bafouée.

Au moyen âge, elle s’anime et devient le Grotesque. Une âme s’est glissée dans le corps contrefait. Le Pygmée stupide est devenu le rusé kobold ou le nain. Le sot dieu Bès est devenu l’esprit malin. Le masque s’est détendu et fait des grimaces. Le singe immobile des terres cuites gallo-romaines se met à courir et à gambader sur les frises. En même temps que la feuille d’acanthe sèche, écartelée, collée sous l’abaque grec, s’assouplit, se déroule, renaît à la vie, les Gorgones pétrifiées des antéfixes se prennent à hideusement sourire, et les bêtes fantastiques qui tournaient en rond autour des cratères comme des prisonniers dans un préau se mettent à grimper et à sauter le long des colonnes, à danser sur les frises, à s’accouder sur les balcons et à se pencher sur les gargouilles, dans le vide, le bec ouvert, pour regarder les passans. À l’art de la caricature comme à tous les arts, le moyen âge a rendu la liberté. Jamais on ne vit plus indépendante