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ce nom parce que les auteurs avaient l’intention de bien signifier le caractère de ces rois ou de ces déesses et non de les ridiculiser ? Mais alors il faut renoncer à appeler « caricature » bien des dessins de M. Caran d’Ache. Car ce n’est assurément pas pour ridiculiser le tsar Nicolas II que l’artiste Fa représenté, se promenant avec le président de la République, sous la forme d’un aigle à deux têtes ! Ce n’est pas avec une intention railleuse que les caricaturistes français représentent la France sous la forme d’un coq, ou Menelik sous celle d’un lion, ou la Russie sous celle d’un ours, ni que le Melbourne Punch figure le président Kruger sous celle d’un kangourou lutteur… La figuration d’un souverain ou d’un pays par un animal peut être dans la pensée du figurateur un symbole — et c’est précisément ce que nous voulons dire ici, — mais n’en demeure pas moins, dans la forme, une caricature. C’est la Caricature symbolique.

Quand on refuserait ce nom aux statues des dieux de l’Égypte, on ne le pourrait, en tout cas, contester aux papyrus du musée de Turin ou du Musée britannique où l’on voit des lions jouant aux échecs avec des antilopes, des hyènes faisant des offrandes à des ourses, ou des rats à une chatte ou encore des lions, des crocodiles, des marsouins, des ânes jouant du téorbe. Qu’il y ait là des symboles des différentes contrées de l’Egypte ou des figures de souverains, ces scènes d’animaux faisant fonctions d’hommes signifient quelque chose d’autre qu’un amusement du pinceau. La caricature a commencé par le Symbole.

Elle a continué par la déformation. Toute la caricature antique, sauf en Égypte, est fondée sur l’idée de disproportion, — soit disproportion entre les traits du visage, comme dans les figurines comiques du Louvre où Cyrano eût pu trouver quelques magistrales inspirations pour sa tirade sur le nez ; soit disproportion entre la tête et les membres, comme dans les combats de Pygmées contre les grues qu’on voit à Pompéi et les têtes de Gorgone que portaient les antéfixes grecs. Le déséquilibre entre la tête et le corps fut le grand moyen caricatural des faiseurs de Pygmées. Le déséquilibre entre les différens traits du visage fut le moyen des faiseurs de « masques » et de « mimes. » Les deux disproportions réunies furent le thème des meilleures caricatures antiques, comme on le peut voir dans la vieille buveuse de Vichy, récemment trouvée et mise au Louvre. C’est la déformation délibérément voulue, obstinément cherchée, non pour symboliser