transporté ultérieurement à Grenade, avait été déposé dans l’église de la Chartreuse de Miraflorès près de Burgos. Or, quelques jours après, Jeanne ayant témoigné le désir de se rendre en ce sanctuaire, les officiers et les dames de sa maison s’empressèrent de l’accompagner : on pensait qu’elle venait simplement pleurer et prier auprès du catafalque où Philippe reposait dans une bière fermée et recouverte de tentures. La reine arriva en costume de religieuse, ce qui était assez étrange, et commença ses oraisons. Tout à coup son émotion se manifesta avec une violence extrême, et la malheureuse, s’exaltant de plus en plus en contemplant le cercueil, ordonna impérieusement de l’ouvrir et d’enlever le linceul. Quelle que fût la stupeur des assistans, il fallut lui obéir. L’archiduc apparut alors, embaumé, revêtu d’une robe de brocart rouge bordée d’hermine, coiffé d’un béret couvert de pierreries. Ce sombre spectacle porta au comble l’agitation et le désespoir de Jeanne : elle se jeta sur le cadavre, lui baisa les pieds et les mains avec une sorte de délire farouche, lui adressa tout haut les paroles les plus tendres et les plus incohérentes, et ce ne fut qu’après un long temps que ses serviteurs, profitant de son épuisement, parvinrent à mettre un terme à cette lamentable scène. On attribua d’abord un tel égarement d’esprit à l’intensité fiévreuse de sa douleur récente, mais on apprit bientôt avec stupeur que la Reine retournait périodiquement à Miraflorès, dans le même appareil, persistant dans son caprice sinistre, faisant à chaque visite rouvrir la tombe provisoire, transformant ainsi son culte pour la mémoire de son mari en une monomanie funèbre. Pendant plusieurs semaines, et tant qu’elle fut à Burgos, elle continua publiquement ces démonstrations répugnantes devant le cadavre exhumé, laissant toute la Cour consternée par ces incidens imprévus. Lorsque enfin, à Noël 1506, elle se résigna à transférer le prince à Grenade et partit à la suite du char funéraire avec tout un long cortège d’évêques, de prêtres et de moines, elle exigeait à chaque station de la route la réouverture du cercueil et recommençait, comme dans la chapelle de Miraflorès, ses embrassemens et ses discours. Ce n’était plus là évidemment un trouble transitoire, mais une folie permanente qui effrayait d’autant plus que Jeanne était au dernier terme de sa grossesse, et qu’elle allait accoucher dans un tel état de crise au cours d’un voyage aussi dramatique.
Les douleurs de l’enfantement la surprirent en effet à