Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/595

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

menacés, ne consentir aucunement à la captivité de sa fille, et se proposer au contraire d’user de tous les moyens en son pouvoir pour la rendre libre en recouvrant l’administration de la Castille. Mais cette pièce, qui indique si bien les mobiles de sa conduite et ses espérances invincibles, ne fut connue que de ses confidens intimes et demeura réservée pour le jour où il y aurait lieu d’agir. Par le fait, quand ce jour vint, elle ne s’adaptait plus aux circonstances et ne fut jamais publiée. L’histoire doit néanmoins la citer comme le témoignage d’un état d’esprit toujours en éveil, et surtout comme l’explication de la conduite d’un prince, non moins dissimulé qu’inébranlable, qui avait fléchi devant la contrainte sans jamais désespérer.

Ferdinand s’abstint également de rien faire paraître de sa pensée dans sa dernière entrevue avec son gendre, qui eut lieu le 5 juillet suivant, à Renedo. Les deux princes conversèrent longtemps dans une chapelle de l’église et se séparèrent froidement. Dès le lendemain, le roi d’Aragon partit pour ses États sans avoir revu sa fille : il voyagea sans bruit, avec une petite escorte, n’affectant ni regrets ni colère ; il ne parut même pas remarquer l’insolence de plusieurs seigneurs hostiles qui firent fermer sur son passage les portes de leurs châteaux. Bien plus, pour mieux faire voir qu’il n’attendait rien des circonstances présentes, il ne séjourna que deux mois à Saragosse et s’embarqua le 4 septembre à Barcelone pour se rendre à Naples avec la reine Germaine de Foix. Sans doute sa présence était opportune dans ce royaume où son autorité était encore mal affermie, mais on doit bien penser qu’après son humiliant échec en Castille, il n’était pas fâché de s’éloigner et de ne pas avoir l’air d’un prétendant à l’affût d’une occasion favorable. Sa dignité non moins que son intérêt lui conseillaient ce voyage. Il fut reçu par les populations napolitaines avec les démonstrations bruyantes qu’en tout temps elles réservent à leurs maîtres, et justifia d’ailleurs leur enthousiasme par son immédiate et active sollicitude : ce grand homme de gouvernement prit dès son arrivée la direction des affaires avec une intelligente fermeté, ne se laissa point distraire d’un travail assidu, pacifia et réorganisa rapidement ce pays ruiné par la guerre. Il accomplissait cette œuvre et commençait d’établir dans le royaume de Naples une autorité qui devait demeurer pendant deux siècles le patrimoine de sa maison, lorsque l’événement le plus dramatique et le plus inattendu changea