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de sa conduite était arbitraire et fallacieuse ; il affecta de la dédaigner. La brutale dépossession de la reine demeurait l’œuvre de l’archiduc : c’était lui seul qui annonçait la déchéance de Jeanne et s’imposait comme roi et comme administrateur. Sa déclaration impérieuse, et aussi inconvenante dans les termes qu’audacieusement usurpatrice, servait bien les vues secrètes de son beau-père qui n’étant plus rien en Castille ne pouvait être soupçonné de complicité dans cet attentat. Ferdinand avait parlé jadis aux Cortès dans un autre style de l’état de sa malheureuse fille, et ménagé la loyauté castillane aussi bien qu’il avait eu soin de donner un autre caractère, modeste et temporaire, à l’autorité qu’il voulait prendre. Philippe, par cette prise de possession brusque, définitive, blessante pour sa femme et pour le sentiment national, transformait sa régence en conquête, inaugurait par la force la souveraineté de la maison d’Autriche dans un royaume espagnol. Cette faute capitale justifiait les espérances du roi d’Aragon.

Celui-ci, une fois sa décision prise et le sacrifice accompli, eut soin de ne plus se mêler en quoi que ce fût de la politique intérieure ou extérieure de Castille. Il avait tout intérêt à laisser le champ libre à son rival, et au pays le temps de connaître le poids du joug étranger. Il résolut d’attendre dans l’inaction complète et dans le silence les inévitables erreurs de son gendre, le mécontentement et les regrets des peuples. Bien plus, son dernier acte ostensible fut une circulaire adressée aux agens espagnols au dehors pour les instruire dans la forme la plus correcte des changemens qui venaient de se produire et les dégager de son obédience. Sans doute, dans ce document, il se décernait à lui-même les plus pompeux éloges, opposait le spectacle de son inaltérable patience au récit des mauvais procédés de son gendre, et déclarait qu’il avait renoncé à la lutte par amour pour le royaume dont sa résistance eût compromis le repos. Mais après tout ce développement oratoire, il invitait avec une douceur édifiante et de la façon la plus précise ses représentans diplomatiques à respecter scrupuleusement le traité de Villafila et à se considérer désormais comme les serviteurs du nouveau roi de Castille.

Tel fut son seul acte officiel et public. Toutefois, pour sa satisfaction personnelle et en vue de l’avenir, il rédigeait en même temps une protestation secrète : il avait soin de s’y dégager de toute solidarité avec Philippe, affirmait n’avoir cédé qu’à la violence et à la crainte des périls dont l’Espagne et lui-même étaient