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redouté un désastre pour lui-même ou pour les peuples, soit qu’il eût considéré comme inévitablement transitoire le triomphe de l’archiduc, il recula devant une solution belliqueuse et préféra se montrer magnanime et désintéressé. Après quelques jours de réflexion, il céda et accepta la nouvelle convention préparée par les conseillers de Philippe. Cet acte était l’échec complet de sa politique : le traité de Salamanque disparaissait, l’archiduc était investi purement et simplement du gouvernement de la Castille aussi bien que du titre royal, Ferdinand conservait seulement la moitié du revenu des Indes et les trois Maîtrises. Le testament d’Isabelle se trouvait ainsi annulé : le Roi Catholique n’avait plus qu’à se retirer en Aragon.

Quant à Jeanne, son père ne stipula rien pour elle, et parut se désintéresser de la question. Il affectait de paraître tout sacrifier pour sauvegarder la paix publique et de ne soulever aucune difficulté politique ou de famille : il entendait d’ailleurs laisser sur ce point délicat et douloureux la responsabilité à son gendre et se réserver ainsi la faculté du désaveu. En pliant aussi rapidement devant l’orage, il gardait assurément l’espoir de la revanche et il abandonnait volontiers à son rival la tâche répugnante de se substituer ouvertement à la reine. Philippe, que n’arrêtait aucun scrupule, ne vit pas le piège ou le dédaigna par arrogance : il publia, le jour même où il signait le traité de Villafila, un document annexe où il proclamait l’état mental de Jeanne et l’écartait à jamais du gouvernement : « Comme notre Sérénissime Epouse ne veut en aucune manière s’occuper ni rien entendre d’aucune administration, ni d’autre objet analogue, et comme, d’ailleurs, si elle voulait s’y entremettre, ce serait pour la totale destruction de ces royaumes à cause de ses maladies et de ses égaremens que l’on ne définit point ici par courtoisie ; comme nous voulons néanmoins pourvoir, remédier et obvier aux inconvéniens et dommages qui pourraient s’ensuivre, il a été convenu et accordé entre Nous et le Roi notre beau-père que, dans le cas où la Reine, soit par elle-même, soit excitée par d’autres, prétendrait s’immiscer dans le gouvernement, nous n’y consentirions pas ; mais serions d’accord pour l’en empêcher, ce que nous avons juré d’observer fidèlement sur la Croix et les Evangiles. »

En réalité, Ferdinand s’était borné à accepter cette clause comme toutes les autres conditions du traité avec une résignation muette et pleine de réticences intérieures. Cette interprétation