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maintenant dans sa ligne de conduite, il poussa si activement les pourparlers que Philippe, malgré sa répugnance, ne put se soustraire à l’entrevue : on en fixa enfin la date au 20 juin 1506.

Cette rencontre n’eut pas lieu, comme on l’eût imaginé entre si puissans princes et en des circonstances aussi solennelles, dans une illustre cité, au bruit du canon et des cloches, au milieu des fêtes populaires. L’hostilité et la défiance réciproques furent visibles jusque dans le choix de l’emplacement où les deux rivaux devaient se revoir. A égale distance du bourg de Puebla où se trouvait Philippe et du bourg d’Asterianos où était venu Ferdinand, s’élevait, en pleine campagne, dans une chênaie, une métairie appelée Remesal : on eût dit une de ces maisons obscures où se rencontrent par hasard deux souverains en guerre ; elle parut néanmoins très convenable pour une conférence. Mais si l’on avait réglé avec exactitude le nombre de pas que chacun des Princes devait faire au-devant de l’autre, on n’avait point déterminé l’appareil extérieur dont il leur conviendrait de s’entourer. Le contraste de leurs caractères éclata dans le décor : Philippe arriva en triomphateur avec une petite armée à la fois pompeuse et menaçante ; Ferdinand au contraire, fidèle au rôle bienveillant et simple qu’il entendait jouer, se présenta avec un très peu nombreux cortège d’officiers et de serviteurs montés sur des mules, comme un bon père qui vient affectueusement converser avec son fils. Le duc d’Albe était à peu près le seul personnage de marque dont il fût accompagné. Cette petite troupe était sans armes.

L’humble démonstration du roi d’Aragon était évidemment calculée. Sans doute il y avait de sa part quelque vaillance, en un temps où les guet-apens étaient toujours vraisemblables, à se remettre ainsi entre les mains d’un gendre qu’il savait être son ennemi : mais il comptait sur le respect qui était dû à son rang et à la splendeur de son règne, et il y avait du courage et de la majesté dans cette assurance paisible. En outre, il sentait bien que son gendre ne pouvait sans se déshonorer abuser de ses forces au point d’attaquer un cortège de Cour. Il aborda Philippe avec un visage tranquille et souriant.

Celui-ci, au contraire, selon les témoins oculaires, paraissait morose et préoccupé. On voyait qu’il se contenait et s’étudiait, ayant de secrets desseins. Le Roi Catholique dissimulait mieux ; trop maître de soi pour se laisser déconcerter par la froide attitude