son esprit une impression profonde. Il se trouvait de plus en présence d’un appareil militaire imposant. Il savait que de nombreux contingens féodaux conduits par des seigneurs, ses ennemis notoires, se réunissaient chaque jour aux soldats allemands et flamands fort bien aguerris que Philippe avait amenés en Espagne. Le vieux stratège politique se sentit joué par la brutale initiative d’un jeune homme médiocre, sans doute, mais hardi et qui allait droit son chemin.
Quels que fussent toutefois ses pressentimens inquiets, et le peu d’espoir qu’il conservait de pouvoir dominer les chances contraires, il restait le prince temporisateur, tenace, le diplomate qui, même lorsqu’il cède, ne perd jamais sa foi dans l’efficacité des bonnes manœuvres et son espoir dans le retour de la fortune. Il pensait peut-être dès lors qu’il lui faudrait à un moment donné renoncer pour un temps à une partie aussi compromise, mais en attendant, il jugeait opportun d’être patient, modeste, de ne point brusquer les événemens. Il estimait, non sans raison d’ailleurs, que si les engouemens de la première heure sont irrésistibles, ils sont aussi éphémères, que Philippe s’userait par des fautes, que ses conseillers étrangers et ses hommes d’armes blesseraient bientôt l’orgueil national, et que la popularité reviendrait au roi sagace et vigoureux qui avait fait la grandeur de l’Espagne. Il ne manifesta donc aucune aigreur, continua de faire bon visage aux Grands, de traiter le peuple avec une aménité familière : il se concilia de plus en plus la fidélité du duc d’Albe et surtout de Gonzalve de Cordoue, cherchant à tourner les obstacles qu’il ne pouvait attaquer de front. Il suivit — c’était la nature même de son esprit — la voie des atermoiemens et des négociations, il alla même jusqu’à expédier Cisnéros Ximénès à l’archiduc en offrant de modifier le pacte de Salamanque, et, poursuivant obstinément le projet d’une entrevue, il se rapprocha de son gendre et s’avança jusqu’à Toro, c’est-à-dire à une très faible distance de la résidence provisoire de Philippe.
Mais en même temps, — car une immense rancune et la plus astucieuse prévoyance se cachaient sous ces apparences pacifiques, — il préparait une circulaire aux Grands et aux villes pour le cas où il se déciderait à recourir à la force ouverte. Disons tout de suite que ce document n’a jamais été expédié : on en retrouve seulement quelques passages dans les manifestes ultérieurs. Il est bon néanmoins de le signaler à sa date : plaidoyer pour