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d’avoir trahi la confiance d’un seigneur qui s’était cru en sûreté sur le territoire flamand, et il n’obtint en échange que de vaines protestations d’amitié et l’ordre de la Jarretière. Dès que sa flotte fut en état de reprendre la mer, il s’embarqua, et le 24 avril 1506, il aborda à la Corogne.


VII

Dès les premiers jours de son arrivée, on put voir qu’il n’avait jamais pris au sérieux le traité de Salamanque et que le seul objet de son voyage en Espagne était la prise de possession exclusive du gouvernement. Loin de chercher à voir promptement son beau-père et à s’entendre avec lui, il retarda autant qu’il put une entrevue embarrassante et prit sur-le-champ l’attitude d’un souverain qui entre dans ses États. Ferdinand qui, sans croire plus que lui à la validité d’un traité fallacieux, voulait cependant mettre de son côté les bons procédés, était venu au-devant de lui jusqu’à Astorga. Philippe, sans paraître s’en apercevoir, demeura en Galice, y régla toutes choses en maître, reçut avec ostentation les hommages populaires, nous des intrigues avec les Grands de Castille accourus auprès de lui, leur laissa comprendre le peu de valeur qu’avait à ses yeux la convention récente, se plaignit à eux de Ferdinand, se posa en maître qui vient redresser une administration vicieuse et rétablir la véritable autorité. Il affecta même de mal recevoir les alcades et officiers que lui avait envoyés son beau-père et de les considérer comme suspects et importuns : enfin il assuma le gouvernement du pays sans entrer en pourparlers avec le roi d’Aragon.

Celui-ci ne s’attendait pas à une mainmise aussi audacieuse et aussi prompte sur le pouvoir qui, d’après le traité, devait être exercé en commun. Il pensait que des négociations seraient entamées et qu’avec son adresse ordinaire il envelopperait son gendre dans les réseaux de sa diplomatie. La violente irruption de Philippe dans les affaires du pays, l’ajournement de tout entretien, le caractère ouvertement hostile que prenaient les actes et les paroles de l’archiduc, les manifestations des Grands, presque tous favorables à son gendre, les acclamations des naïfs habitans de la Galice qui, sans s’arrêter aux subtilités du traité de Salamanque, considéraient tout simplement le mari de Jeanne comme leur roi légitime, tous ces incidens multipliés et redoutables firent sur