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l’accord survenu entre son beau-père et son allié ; mais toute sa correspondance témoigne, par sa bonne grâce et sa mesure, des craintes que lui inspiraient tout ensemble les dispositions de l’archiduc et sa propre faiblesse en Castille. Enfin, pour ajourner autant que possible l’instant décisif de la querelle, il accepta un arrangement provisoire sur la base d’un gouvernement commun, tous droits réservés. Ce modus vivendi n’était ni clair, ni pratique : Jeanne, fatiguée et troublée par ces affaires confuses, jeta au feu dans un accès de colère les parchemins qu’on lui soumettait pour la forme, et déclara même qu’elle ne ferait rien contre la volonté de son père. On passa outre, car Philippe qui ne pouvait en ce moment venir dans la Péninsule, et Ferdinand qui se flattait avec le temps de s’affermir en Castille, avaient intérêt l’un et l’autre à se contenter de formules vagues et de clauses transitoires dont aucun d’eux n’était dupe.

Le royaume se trouva donc officiellement avoir deux gouvernemens, et l’on prépara le texte du traité préliminaire. C’était pousser loin l’hypocrisie, car dans l’intervalle, la conduite des deux rivaux ne cessa d’attester les haines réciproques : d’une part, Ferdinand continua d’administrer seul et en véritable souverain ; de l’autre, Philippe, interdisant toujours à l’ambassadeur d’Espagne tout accès auprès de Jeanne, expédia aux Grands et aux villes de Castille une circulaire qui était un violent réquisitoire contre son beau-père, dénonça toutes les mesures prises par celui-ci comme attentatoires à ses droits légitimes et prescrivit aux autorités locales de ne s’y point soumettre. Néanmoins, et si étrange que paraisse cette persévérance dans la duplicité, les deux princes firent signer par leurs plénipotentiaires la convention qui confirmait leur combinaison dérisoire et mensongère. Le 24 novembre 1505, à Salamanque, ce traité fut conclu solennellement entre les ministres espagnols et les ambassadeurs de l’archiduc, André du Bourg et M. de Vere.

La seule lecture de cet acte en atteste la vanité. Toutes les prétentions y sont sanctionnées pêle-mêle : Jeanne, Philippe et Ferdinand doivent recevoir conjointement le serment des villes, la première comme reine et propriétaire, le second comme roi-époux, le troisième comme administrateur. Il n’est nulle part indiqué par quels procédés ces diverses autorités peuvent fonctionner d’accord. Le texte se réfère aux termes du testament d’Isabelle, c’est-à-dire à l’hypothèse où Jeanne « ne pourrait ou