Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/579

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

après tant de troubles intérieurs ; il fit remarquer à Philippe sa jeunesse et son inexpérience des affaires de la Péninsule, si différentes de celles des Flandres ; il rappela qu’il avait abandonné le titre de roi de Castille pour celui de gouverneur, enfin il affecta de souhaiter la venue de l’archiduc en Espagne pour régler d’un commun accord l’administration de l’Etat. Le secrétaire auquel fut confiée cette dépêche fut chargé de mettre Philippe en garde contre les projets du roi de France et de lui dire que, s’il venait en ami et en fils, le roi d’Aragon serait heureux de se retirer dans son propre royaume.

Toutes ces phrases si peu sincères avaient pour objet de gagner du temps, et Ferdinand s’empressa, dès qu’il eut expédié ce message, de réunir les Cortès à Toro et de leur faire prêter serment de fidélité à la fois à sa fille et à son gendre comme rois, et à lui-même comme administrateur. Il confondait ainsi par une égale consécration les droits de sa fille et les siens, de sorte que les mandataires du pays, reconnaissant implicitement l’incapacité de Jeanne et explicitement l’autorité viagère de Ferdinand, donnaient à la lettre de l’archiduc la réponse la plus catégorique du monde. Si adroite que fût cette manœuvre, elle ne satisfit pas complètement le roi d’Aragon : il sentait bien, en effet, qu’on pourrait lui objecter l’absence du consentement de sa fille. Il n’hésita donc point à se prémunir contre cet argument redoutable : s’écartant de la discrétion qu’il avait jusqu’alors observée, il fit lire aux Cortès une déclaration, pénible sans doute pour le cœur d’un père, mais qui lui parut exigée par les circonstances, et qui, affirmant pour la première fois officiellement l’état mental de Jeanne, donnait toute sa valeur à la clause du testament d’Isabelle. On en était venu au point où la vérité devait être connue, et il était urgent d’établir que Jeanne, conformément aux prévisions de sa mère, « ne pouvait pas » gouverner. Cette communication était ainsi conçue :


L’un des motifs qui ont fait attribuer au Roi D. Ferdinand le gouvernement du royaume a été l’impossibilité où serait la Princesse de l’administrer elle-même. Cette impossibilité n’a pu être et n’a été ni spécifiée, ni déclarée particulièrement : mais aujourd’hui la situation est si grave et si triste qu’il a paru tout à fait nécessaire de vous en informer. Longtemps avant sa mort, la feue Reine, notre souveraine, avait eu pleine connaissance d’un maladif trouble d’esprit survenu à notre souveraine actuelle, la reine Jeanne. Affligée de ce malheur autant qu’il était naturel et raisonnable, et voulant sauvegarder les intérêts de son royaume, Elle a ordonné et disposé de l’administration dans la clause de son testament ; mais, tant par courtoisie et bonne