volonté fiévreuse de la princesse, c’était son retour auprès de son mari. Elle était accouchée à Alcala de Hénarès d’un second fils, et l’on n’avait plus de prétexte pour différer son départ. Cependant il semblait difficile, en présence de ses accès intermittens de mélancolie et de fureur, qu’elle pût entreprendre un si long voyage : on redoutait des crises véhémentes et aussi les dangers d’une navigation en hiver. Les lenteurs calculées qu’on lui opposait exaspérèrent ses impatiences : sans consentir même à attendre le retour de son père qui venait de conclure une trêve avec la France, elle donna impérieusement des ordres pour sa route jusqu’à Laredo et pour l’expédition de ses bagages à Bayonne. Elle-même fit des préparatifs ostensibles pour quitter sa résidence de Medina del Campo.
Isabelle, malade en ce moment à Ségovie, fut aussitôt informée de ces dispositions combinées, il est vrai, d’une façon confuse et incohérente, mais qui attestaient des intentions inébranlables et faisaient redouter un coup de tête. Elle chargea l’évêque de Cordoue, qui se trouvait à Medina, de représenter à Jeanne la convenance de ne point partir avant d’avoir revu le Roi ; elle envoya à sa fille un de ses plus intimes secrétaires avec les mêmes recommandations instantes, et, malgré sa faiblesse, lui écrivit de sa main pour lui renouveler ses prières, ajoutant qu’elle se rendrait à Medina avec Ferdinand dès que celui-ci serait arrivé à Ségovie. Mais tout fut inutile : Jeanne annonça résolument son départ pour la fin de novembre. Sa décision fut même fortifiée par la lutte, et l’égarement de son esprit devint tel qu’elle ne recula point devant un éclat. Un jour, sans se préoccuper d’aucun appareil de voyage, ni des moyens de transport, elle se rendit à pied avec sa suite à la porte du château qu’elle habitait près de la ville, pour s’en aller où elle pourrait, et en quelque sorte au hasard, sans rien entendre aux représentations de son entourage effaré. Mais, en arrivant à la poterne, elle fut outrée de colère, car le gouverneur, prévenu à temps, avait fait lever le pont-levis. Ce fut vraiment un spectacle ridicule et lugubre : Jeanne s’obstinait à sortir, donnait des ordres inexécutés, s’énervait de plus en plus devant la résistance. Elle imagina enfin de rester quand même devant les barrières intérieures, et elle y demeura en effet toute la journée et la nuit suivante malgré la rigueur de la saison, refusant pour elle-même et interdisant aux gens de sa suite les vêtemens chauds qu’on était allé