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Catholiques, — il déclara son intention arrêtée de reprendre la voie de France. Or la situation politique n’était plus la même : à la suite d’interprétations divergentes du traité de Naples, Louis XII et Ferdinand se trouvaient en guerre et Gonzalve de Cordoue était assiégé dans Barletta par une armée française. Philippe, devenu prince de Castille et d’Aragon, était solidaire de la politique espagnole : son passage par la France devenait non moins inconvenant que périlleux. De plus, Ferdinand, qui, pendant le séjour de son gendre, avait appris à se méfier des vues allemandes et flamandes de l’archiduc, pouvait craindre — et la suite a prouvé que ce n’était pas une inquiétude vaine — que Louis XII n’engageât Philippe dans quelque négociation suspecte.

Les Rois Catholiques ne négligèrent donc rien pour dissuader le prince d’un tel projet. Ils lui représentèrent qu’il ne pouvait s’éloigner avant d’avoir établi ses relations avec les Grands et sans être initié aux détails du gouvernement. Isabelle invoqua en particulier la grossesse de Jeanne qui rendait ce voyage presque impossible. L’archiduc dit alors qu’il partirait seul, et insista sur l’urgence de son retour en Flandre. En vérité, il avait déjà demandé et obtenu à Paris les sauf-conduits nécessaires : ce dernier acte qui révélait une entente secrète entre Philippe et Louis XII augmenta encore les légitimes défiances du cabinet espagnol. Ferdinand alors essaya d’une suprême ressource, et engagea les Cortès de Castille et d’Aragon à présenter à l’archiduc leurs observations et leurs vœux : malgré les instances de ces assemblées, Philippe demeura inflexible aussi bien pour le départ que pour l’itinéraire.

Le roi d’Aragon dut se résigner, mais il résolut du moins de se prémunir contre les imprudences et même contre les intentions de son gendre. Il rédigea donc et lui remit des instructions éventuelles très catégoriques, impérieuses même, pour le cas où les questions espagnoles seraient en cause ; en outre il expédia sur ses pas un conseiller intime, Bernardo Boyl, muni de pouvoirs secrets que celui-ci était autorisé à produire si les instructions étaient oubliées ou dédaignées. Ce n’était pas une précaution inutile. Philippe, en effet, bien qu’il eût juré à son beau-père de se conformer à ses ordres précis, s’en écarta singulièrement au cours de ses entretiens avec Louis XII à Lyon. Sans avoir égard aux intérêts évidens du roi d’Aragon, non plus qu’à la bonne tournure que prenaient, à Naples, les affaires militaires de Ferdinand, sans