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« Rebelles à la contrainte, les Anglais, fidèles au principe du libre concours des citoyens dans le groupement des intérêts, ont fait appel au ressort moral, et ont donné le spectacle d’une évolution régulière et continue des inférieurs vers l’indépendance[1]. » Depuis 1875, l’organisation ouvrière, affranchie, est légalement reconnue, et la classe ouvrière a une situation équivalente à celle des autres classes.

En Allemagne et en Autriche, le mouvement de réforme sociale part d’en haut. Le pouvoir cherche à reconstituer des organismes corporatifs, sous l’action et le contrôle de l’Etat. La législation allemande sur les assurances, dit M. Prins, a le grand avantage de comprendre l’ensemble de la population ouvrière, mais elle a le défaut de ne pas couvrir le risque du chômage et d’abandonner l’individu à l’autorité ; le système anglais a l’avantage de pouvoir couvrir tous les risques dassurance, y compris le chômage, et de faire appel à la spontanéité morale de l’homme ; il a le défaut de n’englober encore que 2 millions d’ouvriers sur 6, c’est-à-dire une minorité d’élite, d’ailleurs considérable, et qui ira grossissant.

En Angleterre, l’industrie cotonnière emploie un peu moins d’un quart d’ouvriers adultes, et l’industrie lainière un peu moins d’un tiers ; mais, sans que la loi ait stipulé rien de précis, les ouvriers adultes profitent, par la force des choses, de la protection accordée par la loi aux femmes et aux enfans, parce qu’ils ne peuvent pas travailler sans leur aide. Aussi l’Angleterre est-elle, comme nous l’avons dit, le pays d’Europe où les salaires sont le plus élevés et la journée de travail la plus courte.

Là où jadis l’État s’abstenait, il intervient aujourd’hui, il interviendra demain davantage. La législation sociale réglemente jusque dans les plus minutieux détails l’hygiène et la tenue des ateliers; les administrations centrales contrôlent, à l’aide d’inspecteurs, le fonctionnement des pouvoirs locaux et l’application des lois qui régissent le travail[2]. M. Spencer a beau déplorer l’invasion du « socialisme d’Etat, » elle se produit en Angleterre comme ailleurs, grâce à la complexité croissante des relations économiques et à la puissance croissante de l’action collective, à la difficulté et à la nécessité d’assurer aux travailleurs un peu de

  1. Prins, ibid., 149.
  2. Voir le Développement de la constitution et de la société politique en Angleterre, par M. Boutmy.