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qu’on se doit à soi-même et aux autres, grâce enfin à la sévérité du gouvernement pour tout ce qui touche non plus aux opinions ou aux actes politiques, mais aux mœurs, justement considérées comme le fondement inviolable de la liberté publique. Dans les années 1868, 1869, 1870, l’Angleterre comptait, par 100 000 habitans, 46 malfaiteurs de moins de seize ans ; en 1893, elle n’en comptait plus que 14. Il est possible qu’on ait condamné moins d’enfans à la prison. Pourtant, les maisons de correction, qui avaient en 1864 4 286 enfans, n’en avaient en 1894 que 5 187, c’est-à-dire 24 pour 100 de plus, alors que la population s’était accrue de 40 pour 100. Quant aux enfans fouettés après juridiction sommaire (peine préférée pour les fautes les moins graves), il était de 3000 en 1892 et est tombé à 2 583 en 1895.

Malgré ces chiffres favorables, on a contesté qu’il y eût vraiment baisse de la criminalité en Angleterre. Selon M. Morrison, aumônier des prisons et criminologiste de premier ordre, « c’est une habitude aujourd’hui, chez les optimistes officiels et les politiciens, de persuader au peuple que le crime décroît en Angleterre, mais il est évident, pour quiconque étudie les faits, que les conditions préliminaires d’une telle diminution n’existent pas. » Le dernier recensement révèle ce fait désastreux que la population rurale a augmenté seulement de 3 pour 100 dans les dix dernières années, tandis que la population urbaine a augmenté de 15 pour 100. « Jusqu’à ce que ces chiffres soient inverses ou jusqu’à ce que quelque transformation soit effectuée dans le mécanisme de la vie des villes, il sera vain d’espérer une véritable décroissance du crime. On peut produire une apparence de diminution par des changemens dans la procédure criminelle, par des adoucissemensde sentences et autres procédés, mais soyez assurés que, jusqu’à ce que les causes fondamentales du mal disparaissent, le crime ne diminuera ni en quantité ni en intensité[1]. »

On nous représente la race anglo-saxonne comme très féconde, et, sous ce rapport comme sous tous les autres, on nous la donne en modèle. Certes, on a raison de nous reprocher notre infécondité volontaire, qui est peut-être la pire forme de l’individualisme mal entendu et la plus grande menace pour l’avenir de notre nation. Mais, que la race anglo-saxonne ait aujourd’hui sa fécondité d’autrefois, rien de plus faux, malgré le préjugé. Elle est, au

  1. Juvenile offenders, 1898.