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son souverain ? Nulle part la lutte pour l’existence n’a été aussi féroce que dans la Grande-Bretagne, et ce fut même une des sources principales de l’énergie anglaise. Toutefois, cette lutte est relativement récente. Au XVIe siècle Meteren déclarait les Anglais « aussi paresseux que les Espagnols. » L’ambassadeur de Venise, André Trevisano, Nicander, Nucius, Borde, Lely, ne font aucune mention de l’industrie parmi les traits du peuple anglais. Le laboureur même existait à peine au XVIe siècle, la plus grande partie de la Grande-Bretagne étant en pâturages ; d’autre part, l’Angleterre doit ses manufactures à des colons flamands. Les deux classes les plus habituées au travail régulier n’avaient donc en ce temps-là que peu de représentans.

En fait, les Anglais étaient alors, comme les Espagnols, prêts à toutes les aventures, capables d’endurer les plus grandes peines, explorateurs et corsaires incomparables, mais peu disposés à l’industrie régulière, où brillaient Allemands et Flamands[1]. Deux siècles après, Holberg déclarait encore que les plus grands exemples d’indolence humaine se trouvaient dans la classe pauvre d’Angleterre ; mais il ajoute que les meilleurs exemples de travail appliqué sont parmi les aventuriers et marchands anglais[2]. Ce sont les progrès de l’industrie qui généralisèrent les habitudes de labeur et en même temps de probité. « Si l’Anglais est pauvre, disait Fortescue il y a quatre cents ans, et qu’il voie un autre posséder des richesses qu’il puisse lui enlever par la force, il ne pourra s’empêcher de le faire[3]. »

La race des Anglais, d’une part, la race des Florentins, de l’autre, se sont peu modifiées depuis le XIVe siècle : nulle invasion étrangère n’a eu lieu en Italie ou dans la Grande-Bretagne ; comment donc le Latin était-il actif il y a cinq cents ans et l’Anglo-Saxon inerte ? Encore plus tard, au XVIIIe siècle, quel est le tableau que les historiens tracent de l’Angleterre ? Mœurs grossières en haut et en bas ; criminalité effrayante, inutilement réprimée par une législation féroce ; Londres livrée la nuit, par l’insuflisance des watchmen, aux fantaisies sanguinaires des mohocks, bandits dont le masque cache « plus d’un noble désœuvré ; » domesticité voleuse ou mendiante, insatiable de « bonnes mains ; » intrigans

  1. Voir Motley, United Netherlands, I, 291, — Pearson, National life and character, 99. — G. Monod, Essais d’histoire et de critique.
  2. Betænkning over nogle Europaeiske Nationer, s. 232.
  3. Monarchy, ch. XIII.