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dans le monde entier par la pensée spéculative, mais il résiste délibérément au désir d’explorer de nouvelles régions et d’ébranler certaines croyances acceptées ou acceptables. Les résultats de la critique biblique en Allemagne n’ont été tolérés en Angleterre que quand ils avaient été tellement dépassés dans leur contrée native qu’ils apparaissaient comparativement comme conservateurs.

Tradition et progrès, liberté religieuse, liberté politique, mais avec toutes les transitions et gradations que réclame le respect de la coutume, telle est en tout et partout la méthode anglaise. Tennyson a bien résumé l’histoire et le caractère de son pays quand il a dit, dans une poésie vraiment britannique :


C’est la terre que travaillent des hommes libres,
Qu’a choisie la Liberté sobrement poursuivie,
La terre où, devant ses amis ou adversaires,
Un homme peut dire ce qu’il veut ;
Une terre de gouvernement bien établi,
Une terre de juste et vieux renom.
Où la Liberté va s’élarfiissant lentement,
De précédent en précédent ;
Où la faction rarement lève la tête,
Où, par degrés amenée à sa plénitude,
La force de quelque pensée diffusive
A le temps et l’espace pour agir et se répandre.




IV


La langue anglaise a subi l’inlluence franco-romane. Il y a dans le vocabulaire anglais deux fois plus de mots d’origine française ou latine que d’origine germanique. Dans le dictionnaire étymologique de Skeat, ce sont les étymologies romanes qui occupent le plus d’espace. Au lieu de rester enchevêtrée comme l’allemande, la langue anglaise s’est pénétrée de logique et de clarté relative, surtout dans la prose ; elle est devenue plus pratique, plus apte en quelque sorte à l’action et à l’action utile. L’Anglais a négligé toutes les terminaisons pour s’en tenir à l’essentiel du mot, qui est le radical ; il a pratiqué une sorte d’utilitarisme en grammaire. Pour la syntaxe, il a montré le même esprit logique que les Français et parfois il a simplifié encore plus qu’eux. Au reste, si puissant et varié que soit le génie de la langue anglaise, il n’a pas cette ténacité et cette portée que l’allemand, raide et obscur, doit à sa haute origine ; il n’a pas non plus