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épouse plus qu’elle n’est mère; la Française est mère plus qu’elle n’est épouse[1]. Si le mari a une grande capacité d’agir, la femme a une grande capacité de supporter : l’un est actif, l’autre est plutôt passive, quoique sachant aussi, à l’occasion, s’associer aux travaux et aux périls de son mari. La famille anglaise ne s’étend pas, comme la nôtre, à toute une foule de proches : « À quoi bon des cousins ? disent les Anglais, ce sont des amis gênans. Les vrais amis sont ceux qu’on peut choisir. » Entre les frères eux-mêmes, le lien n’est pas aussi étroit qu’en France ; sans être ennemis, ils vivent souvent étrangers l’un à l’autre. L’individualisme extrême a restreint l’esprit de famille en Angleterre. Ce n’est plus cette communauté d’esprits et de cœurs qui fait que chacun vit dans tous les autres et pour tous les autres.

Dans le domaine politique, l’individualisme anglais, joint à l’entente de l’association, devait aboutir à ce régime de liberté qui est un des principaux titres de gloire de l’Angleterre. Non que, par une sorte de culte idéal, on attachât d’abord du prix à la liberté pour elle-même, mais on y voyait la sauvegarde de l’intérêt individuel ou de l’intérêt des corporations. Souvent étroites et jalouses, celles-ci servirent la cause de la liberté, mais seulement plus tard et contre leur primitive intention. Tandis que les classes rurales tombaient dans une misère voisine de la servitude, les classes marchandes s’organisaient et augmentaient leurs privilèges. Les villes, pour protéger leur commerce, revendiquaient leurs droits. La barrière de l’océan permit de réaliser en Angleterre ce régime libéral qui répondait tout ensemble aux instincts et aux intérêts de la nation. Sur le continent, le pouvoir exécutif eut toujours une importance capitale ; dans les îles bretonnes, où régnait la sécurité à l’égard des voisins, on n’était obligé ni de tenir prêtes sous les armes des armées permanentes, ni même de contracter des alliances durables. On n’intervenait dans les querelles internationales qu’à son gré et à son heure ; le pouvoir exécutif devait donc finir par se subordonner au pouvoir délibérant. Ni les guerres extérieures, ni les guerres civiles ne menaçaient sérieusement la liberté. Point d’invasion à craindre. En France, les luttes contre l’étranger donnaient aux souverains un empire croissant et irrésistible, d’autant plus que, pendant huit siècles, la France fut

  1. Voir : Frankreich und die Franzosen in der zweiten Hälfte des XIX Jahrhunderts. — Italian Relation of England. — Max Leclerc, l’Éducation en Angleteerre ; A. Colin, 1894.