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en amours et galanteries ; l’inclémence du climat, au contraire, favorise davantage le goût de la vie intime, du foyer où est le seul véritable abri, du bonheur régulier et sûr près de la femme et des enfans. D’autre part, le tempérament moins vif et plus stable est moins enclin à l’inconstance des amours. Guichardin disait des peuples du Nord : « Ils ont l’adultère en horreur. Leurs femmes sont extrêmement sages, et cependant on les laisse très libres. » Toute la littérature anglaise exprime cette aversion pour l’adultère ; elle n’admet rien qui puisse porter atteinte à la sainteté du lien conjugal. L’individualisme anglais se retrouve dans la manière même dont ce lien s’établit. Chez nous, où tout est organisé en vue de la société et de l’opinion, le mariage n’est pas entièrement laissé à l’appréciation des personnes intéressées. La famille n’étant guère conçue en dehors du milieu social, on ne se marie pas exclusivement pour soi, mais aussi pour les autres, pour les parens, pour la société dont on fait partie. L’inclination individuelle n’est qu’une première base, qui parfois manque ; la raison intervient, pour apprécier toutes les convenances de famille et d’intérêts. De là le contraste, tant de fois noté par les observateurs et souvent exagéré par eux, entre « le mariage anglo-germanique d’inclination » et « le mariage français de convenance. » Malgré le bel idéal du home anglais, la famille française, selon M. Hillebrand, est généralement « plus heureuse ; » elle a tous ses membres plus unis et plus longtemps que les autres familles, parce qu’elle est « l’œuvre de la tendresse paternelle, de l’instinct social et de l’intelligence organisatrice. » La famille germanique, au contraire, surtout la famille anglaise ou américaine, se dissout très souvent par l’émancipation des enfans et la fondation de nouveaux foyers. D’ailleurs, nous l’avons vu, le nombre même des enfans y est si grand que l’affection des parens se trouve naturellement dispersée et prend souvent un caractère provisoire. La famille anglaise est une monarchie, le père y est souverain, ses décisions ne sont pas contestées ; avant d’être aimé, il est et veut être respecté. Maître de ses biens, les dépensant ou les donnant à qui lui plaît, l’Anglais a l’autorité et le prestige de l’ancien paterfamilias roniain. Le manque de profonde affection paternelle chez maint Anglais se montre souvent dans sa conduite envers ses enfans ; il les garde à la maison jusqu’à ce qu’ils arrivent à l’âge de sept ou huit ans au plus, puis, quelque riche qu’il puisse être, il les envoie dans les maisons des autres. L’Anglaise même est