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a pour écueil l’hypocrisie, tant de fois reprochée aux Anglais. Il est facile de tourner en dérision le cant britannique, mais il faut aussi en reconnaître le bon côté. Cette préoccupation de ne pas livrer ses vices en exemple aux autres, à commencer par les enfans, de respecter extérieurement et publiquement les convenances sociales, de rendre ainsi « un hommage indirect à la vertu, » ne semble pas à l’Anglais méprisable ; il n’accordera pas que le cynisme soit supérieur. Dans les relations individuelles, l’hypocrisie lui paraît sans doute non moins odieuse qu’elle ne le semble aux autres peuples ; mais quand il s’agit des relations sociales, il ne juge pas moral de faire parade d’immoralité, parfois d’une immoralité qu’on n’a point. La théologie catholique elle-même, qui enveloppe une psychologie profonde, n’a jamais méconnu ni la force du « mauvais exemple » ni le danger du « scandale, » et elle a toujours préféré un respect au moins extérieur à l’absence de tout respect et de toute honte. L’exemple, avait dit aussi Cicéron, fait autant de mal que la faute.

Il est d’ailleurs incontestable que l’Anglais a les défauts de ses qualités. Son indépendance l’expose à l’égoïsme, son sentiment du moi à linsociabilité, son esprit d’originalité à l’excentricité ; son positivisme au culte du fait et du succès, de la puissance et de la richesse, au mépris du faible et du pauvre, alors même qu’il vient à leur secours. En outre, l’attitude individualiste, devant autrui, engendre l’orgueil, qui méprise l’opinion des autres, comme l’attitude en quelque sorte sociale engendre ailleurs la vanité, qui vit pour l’opinion des autres. L’orgueil peut aboutir à l’insolence, comme la vanité à trop de complaisance ; l’un fait des Alcestes et l’autre des Philintes. Kant avait déjà noté plusieurs de ces traits. De bonne heure, dit-il, l’Anglais apprend qu’il doit « se faire un caractère » et un caractère à lui, tout au moins « affecter d’en avoir un. » — « L’affectation d’un caractère, ajoute Kant, est précisément le caractère le plus général du peuple britannique, » tandis que le Français sociable tend plutôt à elfacer le sien devant les autres.


III


Et cependant l’Anglais, quoique moins sociable de tempérament, sait beaucoup mieux que nous s’associer à autrui. Il conserve d’ailleurs son individualisme jusqu’au sein des diverses as-