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fines observations faites à Oxford par M. Jacques Bardoux. Rappelons aussi que le prince Albert, chargé par la reine de fixer les conditions d’un prix annuel décerné par elle au collège de Wellington, décida qu’il serait accordé non à l’élève le plus instruit, mais à celui « dont le caractère serait jugé le plus élevé. » Chez nous, dit M. G. Le Bon, « le prix eût été certainement accordé à l’élève qui eût leniieuxrécité ce qu’il avait appris dans ses livres. »

Plus on agit, plus on veut agir ; plus on gagne en agissant, plus on veut gagner. De là cette sorte d’activité insatiable et ambitieuse qui appartient à l’Anglais. Il n’a pas la prudence du Français ; il ne limite pas ses désirs, il veut gagner beaucoup pour dépenser beaucoup, et il dépense fréquemment tout son revenu. D’où la nécessité de travailler énormément et d’habituer ses enfans à travailler de même. Il pourvoit à l’avenir non par des épargnes, mais par des dépenses qu’il juge fructueuses ; telle est, par exemple, l’instruction donnée aux enfans et qui les rendra capables un jour de se suffire. L’Anglais pose en principe que ses enfans, sauf peut-être l’aîné, doivent être les artisans de leur propre fortune ; il ne songe point à se priver pour doter ses filles ou pour laisser du bien à ses fils. D’ailleurs ses enfans sont trop nombreux, il faut qu’ils se tirent eux-mêmes d’affaire. Chacun pour soi.

Dans sa moralité, l’Anglais n’est pas gouverné par un sentiment, — tel que celui de l’honneur ou l’instinct de sociabilité, — mais par la loi religieuse de la conscience ou par la considération humaine de l’intérêt bien entendu. Tout homme doit faire effort pour être utile à soi-même et aux autres, voilà le principe de conduite. La vie n’est pas un jeu, la vie est sérieuse, Ernst ist das Leben, a dit Carlyle. Dans ses beaux momens, l’Anglais réalise ce qu’on a appelé la conception héroïque de la vie ; de même qu’il a lutté contre les puissances adverses de la nature extérieure, « il lutte dans son for intérieur contre des puissances ennemies plus formidables[1]. » L’Anglais éprouve plus aisément que nous les sentimens de respect et de mépris. Nous, profondément égalitaires et volontiers niveleurs, nous ne savons guère ce qu’est la vénération pour ce qui est au-dessus de nous-mêmes, et nous avons souvent trop d’indulgence pour ce que d’autres n’hésitent pas à déclarer méprisable.

Le respect de la règle des mœurs, quand il demeure extérieur,

  1. M. Sarolea, Études de philosophie et d’histoire.