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SOTILEZA. 499 compagne. Il parla longtemps, sans remarquer que depuis le mi- lieu de son récit Muergo ronflait, étendu, la bouche ouverte, et que Sotileza et André ne l’écoutaient guère, moins attentifs à sa parole qu’aux propos qu’ils échangeaient entre eux, à voix basse, à la dérobée. Et Mechelin, lui-même, vaincu par les assauts du sommeil, finit par s’étendre sur le sol et par ronfler presque aussi bruyamment que son neveu. André et Sotileza se regardèrent alors sans savoir pourquoi, puis, sans peut-être en savoir davantage la raison, après s’être re- gardés, ils se promenèrent autour de l’endroit qu’ils occupaient, et le virent tout entier désert et silencieux: on n’entendait d’autre bruit que celui du vent dans les branches. Par suite de la chaleur de l’après-midi, Sotileza avait le visage enflammé, et comme on a déjà dit que dans les parties de ce genre elle était plus animée et plus loquace que de coutume, cet excès d’animation se révélait dans l’éclat de ses yeux brillans, le sourire de sa bouche fraîche, le feu qui empourprait ses joues. André la vit, dans ce cadre solitaire et séduisant, comme il ne l’avait encore jamais vue. Il se rappela avec indignation la ca- lomnie d’autrefois ; et pour la racheter, il se mit à convertir en phrases précises les demi-mots qu’il disait à Sotileza pendant que Mechelin racontait ses aventures. Et ces phrases étaient des déclarations très claires... Sotileza, qui ne les avait jamais en- tendues sur de telles lèvres, partagée entre la surprise qu’elles lui causaient et l’impression d’autre nature qu’elles lui faisaient éprou- ver, n’arrivait pas à trouver les réponses qu’elle eût voulu. Cette lutte intérieure se traduisait sur son visage par une expression difficile à interpréter pour des yeux tranquilles, mais non pas pour ceux d’André, car, aveuglé en cet instant par les éclairs de la tempête qui se livrait en lui, il la considérait comme un aveu. Ainsi hallu- ciné, il prit de sa main droite la main que Sotileza laissait pendre sur sa jupe, et du bras gauche il entoura sa taille, tandis que sa bouche murmurait des paroles exaltées et brûlantes. Mais Soti- leza, comme si elle s’était vue enveloppée par les anneaux d’un serpent, dénoua, par une brusque secousse, les liens caressans dans lesquels André remj)i-isonnait, et ses yeux lancèrent de tels éclairs, l’expression de son visage se modilia tellement qu’André s’éloigna d’elle à bonne distance, et sentit se dissiper son enthou- siasme, comme si on venait de lui n-pandre un seau d’eau fraîche sur la tête.